Tania de Montaigne : « Il faut pouvoir dire noir, jaune, juif »

Même si vous êtes élevé dans un grand esprit de partage et de fraternité, vous avez, comme moi, des interprétations de ce qu’est un Noir, un juif ou un musulman. Du coup, on se dit que si on sacralise le mot en y ajoutant une majuscule, un Noir, un Juif, ou un Musulman, on ne pourra pas se voir accusé de racisme. C’est pour cela qu’on croise des gens qui vous disent qu’ils adorent les Noirs, en ajoutant « Il y a une telle richesse en vous », ou quelque chose de ce type… C’est très gentil, mais ça revient à la même chose qu’une parole raciste, car les deux me dénient le droit d’être un être de culture. Je suis française depuis cinq siècles, mais comme je suis noire, je serais forcément d’ailleurs. Si vous êtes sympa, vous vous émerveillez de ma capacité à être là, si vous êtes raciste, vous me proposez de rentrer « chez moi ». En fait, dans les deux cas, vous supposez que je n’ai pas d’appartenance possible : les Noirs ne seraient traversés ni par l’histoire, ni par la singularité, ni par toute forme de culture. Cela signifierait que nous serions toujours étrangers à tout ce qui se passe ici et que nous ne pourrions nous imprégner de rien… En fait, l’organisation sociale produit de la nature à l’endroit où il y avait de la culture.