Bobigny, Seine-Saint-Denis (France) – Dans quelques jours, je quitterai mon poste à Bobigny où j’ai été chargée pendant quatre ans de couvrir l’actualité de la banlieue nord de Paris, du Val-d’Oise à la Seine-et-Marne en passant par la Seine-Saint-Denis.
article écrit par Eve Szeftel et publié sur le site makingof de l’AFP, le 20 09 2018
Je me souviens de mon premier reportage, au début de l’automne 2014. Une cérémonie officielle avait été organisée sur le parvis de la gare RER de Rosny-sous-Bois en l’honneur d’un soldat tué pendant la Première guerre mondiale, 99 ans plus tôt.
Ce qui restait de lui – rien, à vrai dire, hormis la plaque militaire ayant permis son identification – avait été retrouvé quelques mois plus tôt, dans un trou d’obus. Son dernier domicile connu étant Rosny, le maire, lui-même petit-fils de Poilu, avait demandé qu’il soit enterré sur sa commune.

Je revois la scène comme si c’était hier, et l’émotion qui s’était emparée de l’assistance – jusqu’au préfet Galli, qui avait discrètement essuyé une larme – lorsque la marche funèbre avait retenti pour accompagner l’entrée solennelle du cercueil de Léon Senet, recouvert du drapeau tricolore.
La nuit tombait, les RER se succédaient, déversant sur le parvis leurs voyageurs pressés, indifférents à la cérémonie qui s’était conclue par un lâcher de colombes du plus bel effet. Puis nous avions suivi le corbillard en silence, jusqu’au carré militaire du cimetière communal où le sergent avait été inhumé contre le mur d’enceinte, au pied de deux hautes tours, surmontées de l’enseigne lumineuse « Rosny 2 », qui allaient constituer le principal repère visuel de mes trajets pendulaires au cours des quatre années suivantes.

Quel était le rapport entre ce soldat tué au front et la banlieue telle que je me la représentais alors, m’étais-je demandée ?
Aucun, et c’était cela le plus déroutant.
J’avais pris ce poste la tête farcie de préjugés sur « la banlieue », et en particulier sur ce département qui en est devenu le symbole, y compris à l’étranger : la Seine-Saint-Denis, également connu par son chiffre totémique, le 9-3.
Le plus déroutant, c’était de me retrouver à couvrir un événement qui aurait pu se passer n’importe où ailleurs et, dans mon esprit, n’importe où ailleurs, plutôt qu’ici.