
Avant le siège, pour me nourrir, je comptais sur les fast-foods, mais maintenant tout a été fermé. Je ne sais pas cuisiner, il y a des jours où je mange un repas et d’autres, rien du tout. Je fais le tour d’Alep-Est, quartier par quartier et je ne trouve qu’une boîte de conserve. Avant le siège, je passais la journée dehors à chercher des sujets à filmer. Mais avec le siège, j’ai très faim, cela m’a affaibli, et je reste plus de temps chez moi.
L’idée de devenir caméraman a germé dans mon esprit en 2012. Lors des manifs, je filmais avec mon téléphone portable, je téléchargeais sur internet avec pour objectif de montrer qu’il y avait vraiment une révolte, que ce n’était pas, comme le prétendait le régime, juste une dizaine de personnes et des « terroristes ». Non, il y avait des gens qui ne voulaient plus de ce régime, ils voulaient la liberté, la démocratie, la justice. En 2013, j’ai commencé à travailler comme reporter vidéo indépendant avec l’AFP et, progressivement, mon niveau s’est amélioré. Je regardais les reportages sur les chaînes étrangères, la manière dont c’était filmé, leurs angles et j’essayais de les imiter.

Je n’ai jamais pensé devenir un reporter, mais avec le temps, j’ai aimé ce métier. J’ai un profond respect pour le journalisme, et je suis honnête en l’exerçant. Même si je suis un sympathisant de l’opposition et que je vis dans une zone de l’opposition, même si j’ai participé aux manifs contre le régime, j’évite en filmant d’être subjectif et de prendre le parti de l’opposition. Si celle-ci commet une erreur, je le rapporte.
Cette profession, je pense qu’elle est sacrée. Je suis très prudent, s’il y a un doute ou un truc pas réaliste, je ne filme pas.
Traiter avec vous, journalistes vivant à l’étranger et hors de la zone assiégée, c’est comme ma fenêtre pour faire parvenir le message au monde extérieur.

Les massacres et les bombardements, c’est devenu habituel, tout comme les images des enfants sous les décombres, des blessés, les corps déchiquetés. Je suis blasé, ce n’est plus comme avant. Fin 2012, lors du premier massacre, quand j’ai vu un homme à la jambe arrachée, je me suis senti mal et me suis évanoui à la vue du sang, car c’était la première fois. Maintenant c’est une scène habituelle pour moi.
Mais le plus dur, c’est de revoir la maison familiale. Jusqu’à présent, je n’ai pas eu la force d’y aller. Depuis 2014, c’est la seule zone à Alep que je préfère éviter, je ne pourrais pas le supporter. Cela raviverait mes souvenirs. On m’a dit que l’immeuble s’est effondré… Karam Al-Masri