La mixité sous pression
Du milieu des années 1990 au milieu des années 2000, j’avais aussi observé ces évolutions dans le cadre de ma profession d’animateur socio-culturel dans divers quartiers populaires de l’agglomération grenobloise. Le développement de l’intégrisme musulman avait des conséquences sur les filles, toujours les premières victimes par le contrôle des corps et des déplacements. J’avais vu les comportements des garçons vis-à-vis des filles changer, puis des filles entre elles… J’avais constaté l’évolution vestimentaire de certaines qui ont opté pour le survêtement et se comportaient comme les garçons pour pouvoir s’affirmer un minimum. Quand d’autres ont opté pour le hijab voire le voile intégral. J’ai vu la question de la « réputation » prendre de plus en plus d’importance. Cette « réputation » familiale que seule la fille porte sur ses épaules et dont le voile est apparu comme un label officiel de bonnes mœurs. J’ai vécu la difficulté de plus en plus grande de proposer des activités mixtes aux adolescents. J’ai été confronté aux conséquences souvent graves pour une jeune fille du mythe de la virginité au mariage. J’avais constaté que les islamistes gagnaient les âmes au point que certains animateurs se mirent à utiliser des formules religieuses lorsqu’ils s’adressaient aux jeunes dont ils avaient la charge, chose inimaginable auparavant.
Ce ne sont que quelques exemples parmi d’autres. Je mesurais chaque jour un peu plus la menace de cet intégrisme religieux qui devenait une norme à ne pas remettre en question, car il fallait se distinguer de ces « français » qui nous rejetaient. Le communautarisme faisait son nid, tranquillement.
A la naissance du comité « Ni Putes Ni Soumises » de Grenoble, que j’avais créé en janvier 2004 et présidé pendant quelques années, il me sembla important de dépasser mes expériences et vécus personnels. Nous devions avoir une meilleure vue d’ensemble de la situation sur Grenoble. Nous avions alors rencontré plus de soixante personnes (des adolescents, des associations de défense de victimes et de droits des femmes, des centres sociaux, des animateurs socioculturels, des éducateurs spécialisés, des enseignants, etc.). La montée de l’intégrisme musulman, le rôle grandissant des associations religieuses, le recul de la mixité et la pression croissante sur les filles étaient partout une réalité, sans exception.
La directrice d’un centre social m’avait fait part de son témoignage : « Quand nous rencontrons des jeunes filles et que nous discutons de leur situation, elles disent « chez nous c’est comme ça ». Elles sont fatalistes. D’ailleurs la plupart d’entre elles s’habillent en garçon. On a éduqué les garçons vers l’extérieur et les filles vers l’intérieur. Sur les quartiers, les histoires d’amour se vivent cachées. »
Le constat d’une animatrice était proche : « Pour certaines jeunes filles, le choix se résume à se marier ou à continuer ses études. A l’intérieur du quartier on montre du doigt celle qui ne pratique pas la religion. Dans le quartier, les jeunes filles ont toujours eu du mal à accueillir des copains chez elles. Tout cela est dû à la culture, les traditions et les principes. Par exemple aujourd’hui, elles ne peuvent même plus appeler un garçon. Parfois elles le font d’ici. Il faut dénoncer le côté irrespectueux des garçons et le reste. Ils respectent uniquement les filles voilées. Les filles doivent faire attention à ce qu’elles mettent si elles ne veulent pas être traitées de putes. »
Deux éducatrices spécialisées faisaient également un constat amer : « Des filles paraissant libres nous disent qu’elles finiront mariées avec des gosses. C’est pour ça que, pour elles, ça sert à rien de faire des études. Elles sont résignées et nous disent qu’on ne peut pas comprendre. Ces jeunes filles sont partagées entre leur culture et l’émancipation. Elles ne s’approprient pas les acquis féministes de la même manière. »
Un autre témoignage, recueilli auprès d’un directeur d’une structure socio culturelle, résumait aussi la situation : « Depuis quelques années, il y a un changement de la vision des garçons par rapport aux filles. Il y a également un repli communautaire, une montée de la pratique religieuse et de ses extrêmes qui sont dus, d’après moi, à la déception de la politique. (…) La mosquée est fortement présente dans la vie sociale du quartier. Il y a aussi deux associations religieuses qui se sont créées ces dernières années, une pour les hommes et une autre pour les femmes. Ces deux associations sont proches de l’UOIF. Elles prônent un islam dur et communautaire. »