Stéphan Pélissier « je voulais juste sauver ma famille »

Délit de solidarité. Stéphan Pélissier publie aujourd’hui « je voulais juste aider ma famille », aux éditions Michel Lafon, le récit de sa descente aux enfers après être parti en Grèce à la rescousse de sa famille syrienne exilée en 2015.

article signé Emilien Urbach  et publié sur le site humanite.fr le 28 02 2019

Son procès en appel s’ouvre demain, vendredi, en Grèce. Stéphan Pélissier, 45 ans, syndicaliste albigeois, marié en 2012 à son épouse syrienne, Zena, a été condamné fin 2017 à sept ans de prison par le tribunal d’Athènes. Ses juges le considèrent comme un passeur de migrants. Lui est simplement venu chercher les siens en Grèce, après qu’ils avaient traversé la mer Égée dans une embarcation de fortune. Il risque quinze ans d’enfermement. Ce jeudi, il sort un livre retraçant son histoire et celle de sa famille syrienne qui, face à la montée de Daech en 2015, a choisi l’exil.

À la lecture de votre livre, on se rend compte que votre histoire englobe tous les aspects de la problématique migratoire contemporaine : l’exil, la traversée de la mer, les murs aux frontières, la criminalisation des solidaires…

Stéphan Pélissier Oui… Et aussi des éléments comme les accords de Dublin ou le durcissement des textes, ici en France, avec la nouvelle loi immigration. Ça se traduit, par exemple, avec cette décision du préfet du Tarn qui, en 2016, a voulu renvoyer ma famille en Hongrie parce que leurs empreintes avaient été prises là-bas, puis les a assignés à résidence. Ça a lourdement compliqué les démarches pour qu’ils puissent finalement obtenir l’asile en France, il y a deux ans.

Vous n’êtes pas le seul à vous exprimer dans cet ouvrage. Comment avez-vous construit ce récit ?

Stéphan Pélissier C’est un livre qui nous ressemble, à mon épouse et moi-même. C’est-à-dire qu’il reste pudique. Mais on a aussi voulu qu’il soit vivant. On a donc décidé de jouer sur plusieurs niveaux de lecture. On est partis de ma condamnation en novembre 2017, puis on s’est appuyés sur une sorte de flash-back, en faisant intervenir mon beau-frère sur le moment du choix de l’exil, sur la description de la situation en Syrie ou sur les difficultés du parcours à chaque frontière. C’est aussi le point de vue de ma femme et le mien qui s’expriment, à 2 500 km l’un de l’autre, pour évoquer le moment de l’arrestation. On a voulu que notre humanité et la réalité de cette famille soient palpables.

On a le sentiment que les autorités françaises ne vous ont pas été d’un grand secours jusqu’ici…

Stéphan Pélissier La grande nouveauté, c’est qu’il y aura finalement un représentant du consulat vendredi au procès. Quand j’ai appris que j’allais être jugé, il y a deux ans, j’ai d’abord cru que je ne craignais pas grand-chose. Je pensais que la législation des pays européens était un minimum harmonisée. Je ne pouvais pas être considéré comme passeur alors que je n’avais transporté que des personnes de ma famille. J’avais fourni mon livret de famille qui prouvait le lien de parenté. Mais moins de deux mois avant le procès, on apprend qu’il n’est plus au dossier. On alerte l’Élysée, qui nous répond souveraineté des nations et indépendance de la justice. On a senti monter le danger. J’ai donc écrit une lettre plus politique, plus humaine, au président Macron. Et là, ce qui a joué, c’est vraiment la mobilisation citoyenne qui a suivi ma condamnation, les 50 000 signatures et la médiatisation, l’Humanité n’y est d’ailleurs pas pour rien… Je n’ai reçu de réponse qu’après le verdict, fin décembre 2017. Dans ce courrier, la ministre chargée des Affaires européennes, Nathalie Loiseau, me confirmait que du point de vue du droit français je n’ai pas commis d’infraction, qu’elle allait sensibiliser son homologue grec et qu’elle restait « mobilisée avec le consulat ». Mais concrètement ils n’ont rien fait. Ils n’ont même pas cherché à me rencontrer. Alors je me suis appuyé sur cette dernière phrase pour lui réécrire courant 2018. J’ai eu confirmation, il y a seulement deux ou trois semaines, qu’en effet une personne de la représentation consulaire serait présente. Je reste prudent mais cette présence politique n’est pas anodine.

La mobilisation citoyenne a payé…

Stéphan Pélissier On reste tous un peu fébriles. C’est un cauchemar qui dure depuis quatre ans. La mobilisation fait du bien. La promotion du livre est aussi une façon de prendre notre revanche. Le programme de cette semaine autour de sa sortie nous fait du bien. Ça nous permet de ne pas être seulement dans l’attente du verdict de vendredi.

Vous serez présent lors de l’audience ?

stéphan pélissier Non, la loi me permet d’être représenté. J’encours aujourd’hui quinze ans d’enfermement et si je suis condamné, même si je me pourvois en cassation, ce n’est pas suspensif. Je ne vais pas prendre le risque qu’ils me mettent en prison. Néanmoins c’est important que le juge puisse voir qui je suis. On a donc fait une vidéo. Elle commence avec mon grand-père évoquant sa vie en Syrie, la montée de Daech, son enlèvement, les tortures, le choix de l’exil. Moi, j’interviens ensuite pour dire comment je suis juste venu en Grèce pour sauver ma famille. Ce sera ma façon d’être sur place.