Des initiatives pour lutter contre les discriminations à l’emploi

Pour lutter contre les discriminations à l’emploi, des associations se développent pour recruter, former, placer et suivre les jeunes des quartiers populaires, en adéquation avec les besoins des entreprises.
article par  Louise Couvelaire publié sur le site lemonde.fr, le 30 12 2020

Les dispositifs d’accompagnement et les programmes de lutte contre les discriminations n’y changent rien. Pour les jeunes des quartiers populaires, diplômés ou pas, les portes de l’emploi restent souvent closes. « Ce sont les discriminations liées à l’origine et à la couleur de peau des victimes qui sont les plus fréquentes (…) dans le cadre du travail ou lors de la recherche d’emploi », rappelle l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales dans une étude publiée en novembre. Avec la crise sanitaire, les phénomènes de rupture s’accentuent.

Face à cette situation, plusieurs initiatives innovantes voient le jour.

Leur objectif ? Renverser le modèle existant, jugé inopérant par nombre d’acteurs de terrain. En cause, l’offre et la demande qui ne se rencontrent pas ; les structures d’accompagnement boudées par les jeunes et déconnectées des entreprises ; les pouvoirs publics qui investissent, « mais mal », « à côté de la plaque », « en décalage total avec les réalités du terrain », analyse Stéphane Gatignon, l’ancien maire de Sevran (Seine-Saint-Denis).

« Entreprises et quartiers sont deux mondes parallèles qui ne se croisent pas », ajoute-t-il. Avec Bernard Gainnier, président du cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers France et Maghreb, il a lancé l’été dernier Mouv’Up, un « business citoyen » visant à trouver les postes à pourvoir avant d’aller chercher dans les quartiers, par l’intermédiaire des associations locales, les profils à même de correspondre.

« Personne n’accompagne les jeunes jusqu’à l’emploi »

« Les processus d’accompagnement avec des structures telles que Pôle emploi ou les missions locales sont complètement dépassés, constate Ousmane Sissoko, président fondateur de l’association De l’autre côté (accompagnement à la scolarité, opérations de solidarité…), à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), partenaire de Mouv’Up dans l’identification et la sélection de candidats. Le plus souvent, elles partent des multiples dispositifs existants et essaient de faire rentrer les jeunes dedans, mais ça ne mène jamais à rien. Tout le monde passe son temps à les préparer à l’emploi – évaluation des compétences, rédaction de CV… – mais personne ne les accompagne jusqu’à l’emploi. Face au marché du travail, ils sont seuls. »

Méconnaissance et appréhensions  à l’origine des discriminations à l’emploi

Qu’ils aient le bac ou pas, qu’ils soient diplômés de l’enseignement supérieur ou pas, tous font face aux mêmes réticences des employeurs qui ont « peur d’embaucher des jeunes qu’ils craignent de ne pouvoir maîtriser », raconte Stéphane Gatignon. On les appelle les « décrocheurs », les « invisibles » ou encore les « empêchés », et « ils sont souvent perçus comme étant potentiellement incontrôlables », renchérit Morad Maachi, président-directeur général d’Educaterra (ex-France formation professionnelle), partenaire de Mouv’Up et concepteur de programmes de formations au « savoir-être ».

Développer les « soft skills »

En jargon managérial, on appelle ça les « soft skills », autrement dit les « compétences douces » ou comportementales, à savoir tout ce qui ne relève pas du savoir-faire professionnel. « C’est essentiel si on veut non seulement que nos candidats aient une chance d’être embauchés, mais aussi si on veut qu’ils restent en emploi sur le long terme », précise M. Maachi.« Beaucoup n’ont pas l’habitude d’exprimer leurs émotions par les mots, ils ne savent pas verbaliser, et cela se traduit soit par une forme d’agressivité, soit par un processus d’effacement social et de mutisme », raconte Abdel Machri, directeur opérationnel stratégique et pédagogique d’Educaterra, qui suit également chaque personne placée pendant une période de dix-huit mois. Au moindre problème, les entreprises comme les salariés peuvent faire appel à Mouv’Up, qui facture à l’employeur 900 euros par jeune. Sont comprises dans le « forfait » les démarches administratives visant à bénéficier de dispositifs d’aides publiques tels que les « emplois francs » – aide à l’embauche d’un habitant résidant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville.

Des ateliers sur la gestion des émotions, des conflits et du temps

Communication non verbale, attitudes (pas de chewing-gum, regard franc…), gestion des émotions, des conflits et du temps, écoute, bienveillance… autant de thèmes qui font l’objet d’ateliers (théâtre, jeux de rôles…) répartis sur quinze jours dans le cas de Mouv’Up, sur plusieurs mois dans le cadre des Déterminés, association créée en 2015 spécialisée, au départ, dans l’accompagnement à l’entrepreneuriat. Cela fait deux ans qu’elle s’est lancée dans l’aide à l’emploi salarié.

« Aller chercher les jeunes dans les quartiers »

« Les entreprises ont des postes à pourvoir, mais ne trouvent personne, les jeunes cherchent un travail, mais n’en trouvent aucun, ce qu’il faut, c’est d’abord trouver les emplois puis aller chercher les jeunes là où ils sont, dans les quartiers », affirme le président fondateur des Déterminés, Moussa Camara, qui se voit comme un « facilitateur ».

« On identifie les jeunes dans les quartiers pour les former au savoir-être avant de les mettre en lien avec les entreprises : on construit un programme de formation de six mois – cours d’anglais, sensibilisation à l’esprit collectif, au fonctionnement de la hiérarchie… – en partenariat avec l’employeur », explique-t-il. Les Déterminés ont par ailleurs signé un partenariat avec Erigere, troisième bailleur social d’Ile-de-France au sein du groupe Action Logement, afin de réhabiliter les pieds d’immeubles, y accueillir des espaces de coworking et « remettre de l’activité économique dans les quartiers ».

Cette année, et malgré le confinement, vingt-sept jeunes issus de Seine-Saint-Denis ont décroché un emploi – conseillers financiers chez BNP Paribas et au Crédit Mutuel, à la gestion des ressources humaines chez Adecco, auditeurs chez PricewaterhouseCoopers… – grâce à la première action de Mouv’Up.

De leur côté, Les Déterminés ont « placé » trente jeunes au sein du groupe hôtelier Hyatt, l’un de ses partenaires. Une nouvelle session d’embauches devrait être lancée en janvier. « Aucun de ces jeunes n’avait jamais mis les pieds dans un hôtel cinq étoiles, tous imaginaient que jamais ça ne serait possible, ils se mettent des barrières impensables », raconte M. Camara.

Autocensure et discriminations à l’emploi

Entravés par un phénomène d’autocensure, ces jeunes s’interdisent souvent de postuler ou même de songer à se lancer dans un secteur qu’ils pensent ne pas être fait pour eux. La banque ? « Ce n’est pas pour moi », se disent-ils. L’hôtellerie de luxe ? « Non plus. » L’audit ? « Pas mon monde. » « Ils sont convaincus que rien de tout ça n’est leur monde, que rien de tout ça n’est accessible », témoigne Sofiane Hadji, qui vient de créer l’agence de conseil en communication d’influence Quatre-vingt-treize conseils, destinée à « mettre de la diversité dans un monde très parisien » et à « ouvrir les réseaux à ceux qui n’en ont pas ».
« Nous, on a tout arraché, rien ne nous a été donné, raconte le jeune homme de 25 ans, qui compte déjà deux clients, une association (Moi et mes enfants), et un organisme de formation, Macademia. Cette niaque, on va la mettre au service de tous les talents, quel que soit leur monde. »

Louise Couvelaire