Comment analysez-vous les réactions en France ?
Ce qui m’a étonné, c’est une sorte de lassitude chez les pieds-noirs et les appelés du contingent par rapport à la guerre d’Algérie. Cette histoire commence à vieillir. Le temps a passé. Il y a toujours de la rumination, de la « nostalgérie » dans certains cercles, bien sûr. Mais c’est plus dans le transfert de mémoire aux petits-enfants que les choses se jouent désormais. Ce sont eux qui sont concernés par la fabrication d’identités liées à ces questions. Les enfants de harkis, par exemple, ont regretté que je ne parle pas suffisamment de leur histoire dans le rapport. Il faut en effet poursuivre cette investigation, comme je l’avais entrepris dans un article paru dans Les Temps modernes en 2011.
La « guerre des mémoires » que vous aviez théorisée dans les années 2000 se serait-elle affaiblie ?
Elle a plutôt changé de nature. A partir de 2005, année de la controverse autour de la loi relative aux « bienfaits de la colonisation » et des émeutes de banlieue, on est entré dans un nouveau cycle : celui de la question des identités et de la « racialisation » du débat. Il ne s’agit plus de s’opposer à un groupe homogène constitué et qui porte une vision coloniale ou non coloniale, comme j’avais pu le constater dans mon ouvrage La Gangrène et l’Oubli (1991).
Longtemps, les pieds-noirs ont été en conflit avec les fils d’immigrés, qui eux-mêmes s’affrontaient aux fils de harkis, etc. De cette « guerre des mémoires » on a basculé dans la fabrication d’identités qui ne se définissent plus exclusivement par rapport à la guerre d’Algérie. Elles renvoient à d’autres types de notions comme celles de race, d’inégalité sociale ou de religion. Et se pose, en filigrane, le rapport à la République.