Benjamin Stora : « Les Algériens sont en attente d’une vérité sur leur propre histoire »

« comment les Algériens peuvent-ils affronter leur histoire ? Il est difficile d’aller vers une réconciliation mémorielle quand on a le sentiment profond que l’histoire a été dissimulée ou confisquée. » Benjamin Stora

Pourquoi ce glissement de l’histoire à la mémoire pose-t-il encore problème en Algérie ?

En Algérie, l’accumulation du savoir académique et des récits historiques reste encore problématique. Les travaux de l’historien Mohammed Harbi, par exemple, n’ont été diffusés en Algérie qu’il y a une quinzaine d’années. Quant à ma biographie de Messali Hadj, écrite en 1978, elle n’a été traduite en arabe qu’en 2001.

Aujourd’hui encore, les Algériens attendent la production d’un savoir historique. Ils veulent connaître la vérité sur cette histoire qui leur appartient en propre. D’où, en effet, le malentendu sur mon rapport. A la demande d’Emmanuel Macron, je me suis engagé dans un travail de restitution des mémoires – françaises essentiellement – pour pouvoir les comprendre et pour qu’elles se décloisonnent. Mais le problème en Algérie n’est pas seulement celui de la restitution des mémoires, c’est aussi celui de la construction d’un savoir historique qui soit autonome par rapport à l’Etat.

On se trouve là face à un autre problème : comment les Algériens peuvent-ils affronter leur histoire ? Il est difficile d’aller vers une réconciliation mémorielle quand on a le sentiment profond que l’histoire a été dissimulée ou confisquée. On l’a bien vu avec les slogans dans les manifestations du Hirak. D’une rive à l’autre, le malentendu existe. Et cela complique encore plus les efforts de réconciliation.

Dans un entretien au quotidien algérien « Liberté », l’historienne Malika Rahal évoquait l’erreur de vouloir « dans le même mouvement » réparer la société française et améliorer les relations diplomatiques entre la France et l’Algérie. A ses yeux, ces deux questions devraient demeurer « distinctes ». Or votre rapport les mélange. Que pensez-vous de cette critique ?

C’est la difficulté de la démarche, et aussi de sa perception. Est-ce qu’on veut faire une réconciliation qui soit exclusivement franco-française ? Ou une réconciliation franco-algérienne ? Ou pousser les Algériens à se réconcilier avec leur propre histoire ? Il y a là trois notions qui se chevauchent. J’ai essayé d’avancer, de concilier cela. J’étais sur une ligne de crête.