Les propositions du rapport de Benjamin Stora sur l’Algérie

Après les mots, place aux actes. Ce mercredi 20 janvier, l’historien Benjamin Stora a remis à Emmanuel Macron son rapport “sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie”.

article par Romain Herreros publié sur le site huffingtonpost.fr, le 21 01 2021

Le rapport de Benjamin Stora  explore les impasses qui ont mené à l’incompréhension de part et d’autre, et qui ont contribué à faire de cette période historique, un sujet particulièrement sensible en France comme en Algérie. “Pour les grands groupes porteurs de cette mémoire, comme les soldats, les pieds-noirs, les harkis ou les immigrés algériens en France, l’enjeu quelquefois n’est pas de comprendre ce qui s’est passé, ‘mais d’avoir eu raison dans le passé‘”, explique l’universitaire à qui le chef de l’État avait confié cette “mission de réflexion”.

“Passer à une mémoire commune”
Au-delà des constats expliquant les causes des nombreuses incompréhensions qui accompagnent cette période historique, Benjamin Stora propose une série de préconisations pouvant permettre “le passage d’une mémoire communautarisée à une mémoire commune”.

Et parmi celles-ci, le refus de tomber dans l’excuse, comme l’attendent pourtant les autorités algériennes. “Plutôt que de ‘repentance’, la France devrait donc reconnaître les discriminations et exactions dont ont été victimes les populations algériennes: mettre en avant des faits précis. Car les excès d’une culture de repentance, ou les visions lénifiantes d’une histoire prisonnière des lobbys mémoriels, ne contribuent pas à apaiser la relation à notre passé”, estime le spécialiste.

Outre cet état d’esprit général, Benjamin Stora liste des “gestes” que la France pourrait mettre en place en faveur de la réconciliation. Panthéonisation de Gisèle Halimi (avocate de militants du FLN), programmes scolaires, reconnaissance d’assassinat…Voici ci-dessous, et en version simplifiée, les recommandations qui figurent dans le rapport de Benjamin Stora

1. La constitution d’une Commission ‘Mémoires et vérité’ chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoires (commémorations, recueil de témoignages etc.)

2. Ajout d’un paragraphe dans le décret 2003-925 du 26 septembre 2003, spécialement dédié au souvenir et à l’œuvre des femmes et des hommes qui ont vécu dans des territoires autrefois français et qui ont cru devoir les quitter à la suite de leur accession à la souveraineté.

3. La construction d’une stèle, à Amboise, montrant le portrait de l’Emir Abdelkader, au moment du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie en 2022. Restitution de l’épée d’Abdelkader à l’Algérie.

4. La reconnaissance par la France de l’assassinat de Ali Boumendjel, avocat, ami de René Capitant, dirigeant politique du nationalisme algérien, assassiné pendant “la Bataille d’Alger” de 1957.

5. La publication d’un “Guide des disparus” de la guerre d’Algérie, disparus algériens et européens.

6. Identification des emplacements où furent inhumés les condamnés à mort exécutés pendant la guerre. 

7. Poursuite du travail conjoint concernant les lieux des essais nucléaires en Algérie et leurs conséquences ainsi que la pause des mines aux frontières. 

8. Achèvement des travaux du comité mixte d’experts scientifiques algériens et français chargés d’étudier les restes humains de combattants algériens du XIXème siècle conservés au Muséum national d’Histoire naturelle. 

9. Voir avec les autorités algériennes la possibilité de facilité de déplacement des harkis et de leurs enfants entre la France et l’Algérie. 

10. Mise en place d’une commission mixte d’historiens français, et algériens, pour faire la lumière sur les enlèvements et assassinats d’Européens à Oran en juillet 1962.

11. Faire des quatre camps d’internement situés sur le territoire français des lieux de mémoire.

12. Encourager la préservation des cimetières européens en Algérie ainsi que les cimetières juifs. Financer l’entretien des tombes des soldats algériens musulmans “morts pour la France” entre 1954 et 1962 et enterrés en Algérie. 

13. Reprise des travaux du groupe de travail conjoint sur les archives, constitué en 2013 à la suite de la visite du Président de la République en 2012.

14. Accès réciproque aux archives algériennes et françaises pour les historiens des deux pays afin de montrer la volonté de transparence du passé commun.

15. Augmentation de la durée du visa pour les chercheurs et facilitation des allers-retours entre les deux pays.

16. Favoriser la diffusion des travaux des historiens par la création d’une collection “franco-algérienne” dans une grande maison d’édition. 

17.  Création d’un fonds permettant la traduction du français vers l’arabe, et de l’arabe vers le français, d’œuvres littéraires, et à caractère historique.

18. Accorder, dans les programmes scolaires, plus de place à l’histoire de la France en Algérie. À côté d’une avancée récente – ne plus traiter de la guerre sans parler de la colonisation -, il convient de généraliser cet enseignement à l’ensemble des élèves (y compris dans les lycées professionnels). 

19. Mise en place d’un Office Franco-Algérien de la Jeunesse, chargé principalement d’impulser les œuvres de jeunes créateurs.

20. Réactivation du projet de Musée de l’histoire de la France et de l’Algérie, prévu à Montpellier et abandonné en 2014.

21. Donner à des rues des noms de Français particulièrement méritants  issus de territoires antérieurement placés sous la souveraineté de la France.

22. L’organisation, en 2021, d’un colloque international dédié au refus de la guerre d’Algérie par certaines grandes personnalités comme François Mauriac, Raymond Aron, Jean-Paul Sartre, André Mandouze, Paul Ricoeur.

23. L’organisation en 2021 d’une exposition au Musée national de l’histoire de l’immigration, ou d’un colloque, sur les indépendances africaines. 

24. L’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi, grande figure féminine d’opposition à la guerre d’Algérie.

25. Création d’une commission franco-algérienne d’historiens chargée d’établir l’historique du canon “Bab Merzoug” ou “La Consulaire”, et de formuler des propositions partagées quant à son avenir.