Benjamin Stora : « Les Algériens sont en attente d’une vérité sur leur propre histoire »

L’historien Benjamin Stora a remis le 20 janvier au président français, Emmanuel Macron, un rapport sur la réconciliation mémorielle autour de la colonisation et de la guerre d’Algérie, dans lequel il préconise une politique « des petits pas ». Alors que les gouvernements, à Paris comme à Alger, n’ont toujours pas pris position vis-à-vis de ses recommandations (relatives aux archives, aux disparus de la guerre, au passif des essais nucléaires, à la réhabilitation de figures historiques…), M. Stora analyse dans un entretien au Monde Afrique l’incompréhension qu’a soulevée sa démarche en Algérie, où la presse s’est fait l’écho de nombre de réactions négatives

propos recueillis par Frédéric Bobin et publiés sur le site lemonde.fr/afrique, le 17 02 20121

En Algérie, le débat autour de votre rapport a surtout porté sur la question de la reconnaissance des « crimes coloniaux » et sur le fait que vous ne recommandez pas expressément la présentation d’excuses de la France à ce sujet. Vous préconisez « une autre méthode » pour apaiser les mémoires. Au vu des réactions algériennes, regrettez-vous a posteriori de ne pas avoir formulé les choses différemment ?

Benjamin Stora : Peut-être aurais-je dû être plus clair, même si j’estime toujours que cette question des excuses est un piège politique, une formulation instrumentalisée par l’extrême droite. Il aurait fallu que j’écrive : « Oui, sur certaines pratiques terribles comme la conquête coloniale, il faudrait présenter des excuses pour les massacres commis. » Dans la mesure où ce rapport demandé par le président de la République était avant tout destiné à la société française, je suis passé trop vite sur l’analyse des mémoires algériennes et le traumatisme colonial, même si ces sujets sont bien présents.

Au fond, le malentendu ne vient-il pas de la confusion entre histoire et mémoire ? Vous travaillez sur la mémoire, mais – en Algérie en particulier – on vous attend sur l’histoire. La déception était inévitable…

En France, il y a eu une grande production scientifique sur ces questions. De 1974 à 1990, j’ai travaillé sur les archives, établi des faits, écrit des livres classiques d’histoire de l’Algérie coloniale, de la guerre d’Algérie, de l’immigration (qui est le sujet de ma thèse d’Etat, soutenue en 1991). Et, à un moment de mon activité universitaire, je me suis dit : « Pourquoi la mémoire des différents groupes saigne-t-elle toujours en dépit de cette masse de savoir académique ? »

Il y avait un problème dans les représentations, dans les imaginaires. C’est ainsi que je me suis mis à basculer, dans les années 1990-2000, sur le travail de mémoire. Des historiens me l’ont d’ailleurs reproché à l’époque, mais c’est un peu le parcours de Pierre Nora, avec ses Lieux de mémoire (1984), et d’Henry Rousso, dont l’ouvrage Le Syndrome de Vichy (1987) m’a ouvert la voie.