Préhistoire : nous sommes tous des métis

Le généticien Lluis Quintana-Murci invite à un voyage aux origines de l’«Homo sapiens» et montre comment le déchiffrage du génome a mis au jour les nombreux métissages des populations 
Le Peuple des humains répond à la question que tout un chacun se pose : d’où vient Homo sapiens, d’où venons-nous ? Il s’agit d’un livre scientifique écrit par un des meilleurs spécialistes mondiaux de la génétique des populations, directeur d’unité à l’Institut Pasteur et professeur au Collège de France, mais c’est aussi un livre d’anthropologie, une allégorie de la diversité humaine.
De nombreuses découvertes en archéologie et en paléoanthropologie nous ont beaucoup appris sur nos origines. Mais ces disciplines ont évidemment des limites : on ne trouve pas des fossiles à tout bout de champ. La génétique des populations a pris le relais qui, à partir d’une goutte de sang donnant accès à l’ADN, permet d’établir de façon directe les liens généalogiques entre humains, notamment à travers les routes migratoires et les métissages entre différents groupes de population.
C’est ainsi que l’on a compris que Sapiens et Néandertal s’étaient métissés et avaient eu une descendance commune (nous avons 2 % de gènes des Néandertaliens). Ainsi grâce à l’analyse de quelques os retrouvés dans la vase, une équipe russe a découvert en 2018 qu’une jeune fille qui a vécu en Sibérie il y a 50 000 ans était née d’une mère néandertalienne et d’un père dénisovien, lignées aujourd’hui disparues. Ces restes d’os parlent des humains qu’ils ont été, de leur vie, de leur monde, ce, grâce au séquençage du génome, inauguré en 1953 par la découverte de la structure de l’ADN. Achevé en 2001, il a permis d’accéder à toute notre information biologique.
On a ainsi découvert que d’autres formes d’humains archaïques survivent en nous. Les gènes de l’homme de Denisova par exemple ont constitué un métissage précieux pour les populations qui vivent en haute altitude ; ils lui ont permis de s’adapter à des conditions extrêmes. Mais les modes de vie et les environnements des populations humaines ont changé : la région du chromosome 3 héritée des Néandertaliens est associée aujourd’hui à un risque accru d’être contaminé par le Covid-19… D’où de nombreuses applications actuelles et futures en médecine de la génétique des populations. L’infertilité masculine peut – autre exemple – avoir des bases génétiques liées notamment au chromosome Y.
Iles lointaines de l’Océanie
Tous les spécialistes sont en tout cas d’accord sur un point essentiel : Homo sapiens est africain et son apparition se situe il y a 150 000 et 200 000 ans. Ce grand ancêtre s’est montré plutôt casanier au départ : il a mis 100 000 ans avant de se décider à quitter l’Afrique et à se disperser dans le reste du monde. Les destinations les plus tardives étant les Amériques (15 000 à 35 000 ans) et les îles lointaines de l’Océanie où Sapiens s’est installé récemment (il y a seulement 1 000 à 4 000 ans). Ces datations nous permettent aussi de nous situer par rapport aux autres habitants passés et présents de la planète. Un exemple : les fantastiques fresques de la grotte Chauvet en Ardèche (36 000 ans) sont parmi les plus anciennes des grottes ornées connues du Paléolithique supérieur. On peut s’amuser à mettre en relation la date de ces peintures avec l’époque du peuplement des Amériques – à peu près la même, à quelques dizaines de milliers d’années près – et à rêver de la découverte d’une grotte ornée en Patagonie… Nos ancêtres européens n’étaient sans doute pas les seuls artistes de la Préhistoire.
Ces différentes découvertes constituent à la fois la trame et une des leçons de ce livre qui montre l’importance capitale des métissages dans l’adaptation de nos ancêtres aux différents environnements rencontrés dans leurs périples à travers la planète. «Sans diversité, sans différence, il n’y a pas d’évolution ni de progrès, cela dans tous les sens du terme», conclut l’auteur. Rien au demeurant de didactique ni de dogmatique dans ce livre : de la science seulement. Ce qui n’empêche pas tout un chacun d’en faire son miel….
Lluis Quintana-Murci. Le Peuple des humains. Sur les traces génétiques des migrations, métissages et adaptations. Editions Odile Jacob, 18.99 €