Le poète et la cité : Léopold Sédar Senghor

C’est dans ce réel enchanteur, cette sorte de paradis magique animé par « des forces invisibles qui régissent l’univers », que va grandir le jeune Senghor. Jusqu’à l’âge de sept ans. Tout change alors : il doit quitter son « royaume d’enfance », laisser derrière lui son Joal natal avec « ses signares aux yeux surréels » et ses « fastes du couchant »,  pour aller vers une altérité radicale, celle du vaste monde. Il change de temporalité : le voilà au séminaire de Ngasobil, ensuite au collège Libermann de Dakar avant d’atterrir à Paris, au Lycée Louis le Grand.

Dans son nouveau monde, il lit et relit les « grands classiques » de la littérature française mais aussi découvre la force profonde, hallucinante, magnétique de la poésie surréaliste, poésie en rupture avec les formes fixes de  l’esthétique dominante. Dans ce quartier latin qui a accueilli autrefois Rimbaud, Mallarmé, Verlaine ; il rencontre André Breton, Sartre et  Picasso. La complicité s’installe. Senghor : «  Je me rappelle de Picasso dans son appartement du quartier Saint Germain, qui en me reconduisant me disait : « il nous faut rester des sauvages ».   C’est toujours à Saint Germain que Senghor est également saisi au col par le swing de la poésie- jazz-blues des auteurs afro-américains. À travers le tempo « blue note » de Langston Hughes, Claude Mac Kay, Countee Cullen, Sterling Brown, Jean Toomer, il redécouvre le rythme primordial des poèmes-chants des trois poétesses de son Joal , ses « trois grâces » – comme il les surnommera – , ses trois muses, Koumba N’Diaye, Marône N’Diaye et Siga Diouf.