Mahi Traoré: «L’école française est le lieu de tous les possibles»

Quel message souhaitez-vous adresser aux jeunes gens d’origine africaine?

Mahi Traoré : Le repli identitaire constitue pour les élèves une défense contre un système qui risque de les broyer. Et, d’autre part, le milieu d’origine, en étouffant l’individu, nuit aussi à son émancipation. C’est la conclusion de mon mémoire de maîtrise qui portait sur le communautarisme dans les établissements scolaires. Aujourd’hui, je leur dis: à Rome, fais comme les Romains. Au quotidien, j’essaie d’appliquer une bienveillance faite de rigueur. Bien sûr, il faut donner plus à ceux qui ont moins, mais il faut avoir les mêmes attentes pour tous.
Ils auront des obstacles difficiles à franchir, mais souvent les barrières, on se les met soi-même: cela demande de la volonté, de la pugnacité. J’essaie d’encourager les filles surtout à avoir de l’ambition. Bien que nées ici, elles continuent de se donner la nationalité de leurs parents, sénégalaise, ivoirienne… Je leur dis que je suis née à Bamako, que j’avais plus de 20 ans quand je me suis installée en France pour de bon. Elles, qui sont nées ici, sont des «Françaises de souche»! Quand j’emploie cette expression par pure provocation ironique, cela les fait rire, évidemment.
Je vois tous les jours des jeunes qui font montre, malgré un handicap, d’une volonté folle. J’ai eu une élève polyhandicapée qui est entrée à l’ENS «Ulm». Il faudrait juste que notre société ne soit plus étonnée qu’une femme, un Noir, ou une personne handicapée accède à un poste important. S’il est là, c’est qu’il en a les capacités. Nommée à moins de 50 ans proviseure à Paris, j’étais accusée de n’avoir pas mérité mon poste: c’est idiot, les concours sont anonymes. L’école française est le lieu de tous les possibles, toutes les réalisations. En France avec ma mère, j’ai vécu enfant dans un petit appartement à Clichy. Si, à Bamako, nous vivions bien, nous manquions d’argent en France. Cela ne m’a pas empêché de travailler à l’école. Après le bac, j’ai passé des heures à la bibliothèque Sainte-Geneviève. J’ai dû tout apprendre: les rois de France, les fleuves – je ne connaissais que le Niger.◾️