J’ai passé une semaine devant les chaînes Bolloré… et j’en suis sortie dégoûtée

Avec ses émissions en plateau, C8 semble avoir pris le parti de venger les téléspectateurs des vexations qu’ils ont éventuellement subies dans la journée. Outre Thierry Ardisson les samedi et dimanche, Cyril Hanouna se paie la concurrence chaque soir de la semaine ou presque, tout en jurant de sa franchise charitable et de son amour pour ceux qu’il dézingue. Pour preuve de son impartialité, « Baba » applique la même méthode à ceux qu’il produit (Vincent Lagaf’ cette semaine-là), organisant un effrayant tribunal populaire. Qui, pour ensuite rendre compte de ces séances de vacheries collectives et nourrir sa propre émission ? Jean-Marc Morandini, à l’antenne chaque matin malgré la mise en examen pour corruption de mineurs et l’enquête pour harcèlement sexuel et travail dissimulé dont il fait l’objet…

Thierry Ardisson, organisateur de diners de cons.

Pour qui roule le groupe ?

Le 24 octobre, le CSA a sanctionné Canal+ pour avoir diffusé, en décembre 2017, un publi-reportage sur le Togo, pays où le groupe Bolloré a d’importants intérêts financiers ; une diffusion intervenue quelque temps après que L’Effet Papillon avait rendu compte des manifestations contre le régime togolais… En 2016, trois journalistes avaient porté plainte contre Vincent Bolloré après s’être fait censurer leur enquête, qui dénonçait dans Spécial Investigation un système d’évasion fiscale au sein d’une filiale du Crédit Mutuel. Ces deux émissions ayant été supprimées, le risque de voir des sujets qui fâchent (Les zozos migrateurs versent plus dans l’humour que dans l’enquête sans concession) a complètement disparu. Les antennes servent-elles désormais aux intérêts de Vivendi, dont le groupe Canal est une filiale ? Pas si sûr. Si, lors de notre semaine devant l’écran, le dernier film de Michel Blanc au financement duquel Canal a participé, Voyez comme on danse, a bénéficié d’une confortable promotion, il faut admettre que celle-ci dépassait largement le cadre du groupe. Idem pour Riad Sattouf, qu’on a entendu partout raconter la genèse du quatrième tome de son Arabe du futur et dont on ne pouvait pas vraiment s’étonner de la présence dans 21 cm — quand bien même Canal+ diffuse chaque jour depuis la rentrée une adaptation de ses Cahiers d’Esther. Ou alors, il faut reprocher ce genre de conflit d’intérêts à la plupart des médias… Enfin, le disque dont on a le plus entendu parler (l’album posthume de Johnny Hallyday), est paru chez Warner, et non dans une major du groupe Vivendi.

Cyril Hanouna, entrepreneur en démolition publique.

Représentants de la droite conservatrice

Sur le plan politique, le curseur tire nettement plus à droite qu’à gauche, quand bien même une neutralité aimable généralisée semble de mise. Pour les décryptages sans complaisance de l’action gouvernementale, passez votre chemin… Et quand le jeudi 11, le chroniqueur éco Eric de Riedmatten (ancien journaliste d’Europe 1 mais aussi ancien directeur de la communication chez Europcar, Siemens France, BMW…) s’empare de la prochaine réforme des retraites, c’est pour assurer qu’elle correspond à une « attente des Français ». « Il faut que cette fois, ce soit la bonne », conclut-il courageusement… Reste une prévalence des questions religieuses que l’on ne soupçonnait pas. Est-ce parce que ces jours-là, les propos du pape comparant l’IVG au recours à un « tueur à gages »  avaient semé la consternation ? Toujours est-il qu’entre François-Xavier Bellamy (déjà mentionné), Charlotte d’Ornellas (journaliste à Valeurs Actuelles, catholique pratiquante et ultra-conservatrice), Eugénie Bastié (journaliste au Figaro, « pro-vie » revendiquée), Emmanuelle Ménard (catholique pratiquante, députée proche du RN), Emile Duport (porte-parole d’une association anti-avortement) et quelques autres, les thuriféraires de la religion catholique et/ou représentants de la droite conservatrice, voire traditionaliste, se bousculaient au portillon… En parallèle et sans surprise (hélas), l’islam et les musulmans constituaient une belle source de sujets de discussions — manichéennes. Et pas seulement parce que le comité des droits de l’homme de l’ONU s’apprêtait à rendre un avis, purement consultatif, sur la loi française sur le niqab. Ne parlons pas de la caricature de débat « pour ou contre la burqa »(« autorisée maintenant en France », d’après Cyril Hanouna) dans Balance ton post… Quel besoin avait ainsi Yves Calvi, dans L’info du vrai sur Canal+, de consacrer la plus grande partie de son émission du vendredi à la liste Islam, pro-charia, qui présentait quatre candidats aux élections municipales belges (sans succès) le dimanche suivant ?

Au cœur des débats des chaînes du groupe : l’avortement, l’Islam…

L’indigestion

Tout au long de ces sept jours d’immersion au sein des chaînes Bolloré, notre malaise n’a cessé de grandir. Comment échapper au dégoût lorsque l’on entend dire que l’émission Cash Investigation est « poujadiste » ? Que l’on voit Cyril Eldin (Les reporters du dimanche, Canal+) traiter les députés comme du fretin méprisable? Ainsi donc, s’installer devant un écran peut donner mal au cœur comme après un repas trop gras, trop salé, trop sucré. Sous ses dehors inoffensifs, la « malinformation » gangrène l’esprit et corrompt la réflexion. La polarisation des débats, la recherche permanente des discours sans nuance et l’absence délibérée de mises en perspective ne se contentent pas de menacer la santé morale de ceux qui s’y abandonnent ; elles fabriquent du populisme. Heureusement qu’il nous reste la télécommande…