Les musulmans sont bien intégrés en Europe

Ils font confiance aux institutions en dépit des discriminations dont ils sont l’objet.

Les résultats d’une vaste enquête sur les musulmans vivant en Europe ont été rendus publics, mercredi 21 septembre. Ils sont livrés par l’Agence européenne des droits fondamentaux (FRA), un organisme de l’Union européenne basé à Vienne en Autriche et chargé de veiller au respect des droits fondamentaux par tous les États membres.

Ils battent en brèche les clichés véhiculés par les partis populistes et d’extrême-droite et devraient permettre de faire évoluer les mentalités. Car l’étude porte sur plus de 10 500 personnes interrogées entre octobre 2015 et septembre 2016 et s’identifiant comme musulmanes, ce qui en fait l’une des plus larges bases de données disponibles actuellement. Elle couvre 15 pays (dont la France) et 94 % de la population musulmane totale, soit vingt millions de personnes, ce qui représente le deuxième groupe religieux de l’UE (4 %).

Degré élevé de confiance dans les institutions

Il en ressort ce principal enseignement : l’affirmation selon laquelle les immigrés et leurs enfants originaires de Turquie, d’Afrique du Nord, de l’Afrique subsaharienne et de l’Asie du Sud-Est ne sont pas intégrés à la société européenne est fausse. Issus de diverses cultures, ils jouissent au contraire d’un « degré de confiance dans les institutions démocratiques qui est bien plus élevé que celui de la population en général, » selon Michael O’Flaherty, le directeur de la FRA.

Parmi les personnes musulmanes interrogées, 76 % ressentent un attachement fort au pays dans lequel elles vivent. Elles font même un peu plus confiance au système judiciaire et à la police que les autres Européens et font preuve de tolérance à l’idée d’avoir un voisin ne partageant pas leurs convictions religieuses : 92 % n’y verraient aucun inconvénient.

48 % des musulmans affirment qu’ils se sentiraient « totalement à l’aise » avec un membre de leur famille souhaitant contracter un mariage mixte. Ils ne sont que 17 % à rejeter cette perspective, un chiffre à comparer aux 30 % d’Européens qui réagiraient mal si leur fils ou leur fille leur annonçait vouloir épouser un musulman ou une musulmane.

La seule gêne qu’une partie significative des musulmans d’Europe assume de déclarer concerne les homosexuels, ce qui, selon la FRA, ne les différencie guère toutefois des citoyens se réclamant d’autres religions. Un répondant sur quatre se sentirait mal à l’aise, s’il devait partager son palier avec un gay ou une lesbienne (contre 16 % dans la population en général).

Discriminations

Ce sentiment d’intégration n’empêche pas les discriminations. Elles semblent largement sous-estimées par les statistiques, puisque seuls 12 % des personnes interrogées jugeant en avoir fait l’objet ont décidé de porter plainte. Une personne musulmane sur trois environ s’est sentie discriminée au cours des cinq dernières années lors de sa recherche d’emploi. Les femmes qui portent le voile sont particulièrement vulnérables sur le marché du travail. 42 % des sondés contrôlés par la police sont certains de l’avoir été parce qu’ils sont issus de l’immigration, en raison de leur origine ethnique ou de signes religieux distinctifs.

L’agence européenne recommande donc la mise en place rapide de sanctions efficaces contre les violations de la législation de lutte contre les discriminations, comme cela est prévu dans la directive sur l’égalité, car « chaque incident entrave la pleine inclusion dans la société des populations musulmanes et risque d’aliéner les individus avec des conséquences graves ».

Une allusion sans doute aux attentats djihadistes, dont l’impact n’a pas été mesuré sur l’intégration des musulmans en Europe, qui sont d’ailleurs répartis sur le continent de manière inégale. Quasi absents des pays d’Europe de l’Est, ils sont 4,7 millions en Allemagne – autant qu’en France – et c’est dans ces deux Etats que vivent la moitié des musulmans présents sur le continent, qu’ils soient citoyens européens ou résidents.

Leur perception des discriminations affiche également des différences notables. La France se distingue particulièrement parmi ceux ayant le sentiment que la discrimination sur des bases religieuses ou ethniques est largement répandue dans leur pays. Les musulmans habitant l’Hexagone disent être plus fréquemment contrôlés en raison de leur apparence. Toutefois, ils sont plus attachés au pays dans lequel ils habitent. Mais la deuxième génération semble y subir un désenchantement singulier. Avec les Pays-Bas, la France est le seul Etat dans lequel les enfants sont moins attachés à la société dans laquelle ils évoluent que leurs parents.

Publié le 21/09/2017, sur Le Monde, par Blaise Gauquelin