« Une histoire qui prenne en compte les femmes, les colonisés et les immigrés »

Peut-on comparer la répression étatique contre ces mouvements, et la violence policière actuelle dans certains quartiers, et lors des révoltes de 2005 ?

Je ne pense pas qu’il y ai de continuité historique entre ces deux événements. En revanche, je suis troublée du point commun entre plusieurs moments : le massacre des tirailleurs en 44 au Sénégal, la manifestation du 14 juillet 1953 à Paris — où la police parisienne tire sur le cortège du parti populaire algérien (7 morts, 6 algériens plus un militant CGT parisien), et puis Mai 67. Ce ne sont pas les mêmes forces de l’ordre, mais il y a le même script : on tire sur des personnes dont la plupart ne sont pas armées. On évoque dans des rapports la légitime défense, on dit dans les trois types de rapports que ce sont les gens qui se sont attaquées aux forces de l’ordre, on légitime le fait d’avoir tiré. Les rapports sont extrêmement euphémisés, parlent d’un nombre de morts incertain, caché d’un certain point de vue. Ensuite, il y a eu une espèce de chape de plomb, on a oublié ces événements. Ils sont ressortis récemment, grâce à des associations et des militants. Là, il y a une continuité. Pourquoi je dirais qu’il n’y en a pas complètement avec 2005 ? C’est qu’il n’y a pas de mort par balles. Il y a des morts, dans des conditions particulières individuelles. Mais dans le cadre des émeutes elles-mêmes, il n’y en a pas. Il y a une chose si, qui pose question, et qui va jusqu’à Rémi Fraisse : une grenade lancée dans une mosquée, ce qui a contribué à faire repartir une situation qui avait commencé à s’apaiser après la marche blanche des habitants à Clichy-sous-bois. A tout moment dans les manifestations, il y a emploi de grenades offensives alors qu’elles sont interdites par toute une série de circulaires. Il y a un apprentissage, un armement de défense et d’attaque, communs aux chefs du service d’ordre. Mais ça n’a pas commune mesure avec les situations coloniales.