Le défenseur des droits, Jacques Toubon, dénonce les conditions de vie des migrants dans la ville, traqués jour et nuit, sans possibilité de recevoir de l’aide alimentaire. Youssef, Erythréen de 22 ans, témoigne des sévices qu’il subit au quotidien.
Migrants traqués, distributions de repas empêchées par la police, mineurs à la rue, femmes en danger, bref, des «atteintes au droit d’une inédite gravité». Une fois de plus, il s’agit de Calais, et une fois de plus le Défenseur des droits dénonce. Après la visite de ses services lundi sur place, Jacques Toubon décrit une «volonté [des pouvoirs publics] de ne plus voir de migrants à Calais», donc «plus aucun abri toléré». Il s’indigne de ce que quelque 500 à 600 personnes, sans accès à l’eau, excepté celle offerte par les associations, «dorment à même le sol» et se disent «traqués jour et nuit dans plusieurs sous-bois de la ville». «[Ils] ne peuvent plus dormir, se poser ou se reposer et restent sur le qui-vive», et sont «visiblement dans un état d’épuisement physique et mental». Il réclame «la fin de cette sorte de traque, l’autorisation des distributions de repas, la mise à l’abri des mineurs sur place, la mise en place d’un lieu où les personnes peuvent se reposer, se ressourcer et envisager la suite de leur parcours.»
«Dis-moi s’il y a un lieu où je peux me reposer. Je n’ai nulle part où être tranquille», répond en écho Youssef, 22 ans, Erythréen rencontré mercredi lors de la distribution – tolérée – du repas de la mi-journée, à l’église Saint-Joseph. Il est arrivé de Libye en Europe depuis quinze jours et il est à Calais depuis une semaine. Il raconte avoir été tabassé une nuit par des policiers. «Je boite depuis trois jours à cause de la police. Ils m’ont aspergé de gaz lacrymogène dans le visage, ils m’ont frappé sur tout le corps et sur les genoux, et ils sont partis», raconte-t-il. «Ils étaient trois ou quatre. Ils riaient en frappant. Je n’ai pas résisté, j’ai mis les bras en l’air, ça n’a rien changé.»
Il répète : «Il faut que je me repose quelque part. Je dors deux heures, le jour. La nuit, c’est impossible. Ils nous trouvent dans les bois, et ils nous aspergent de gaz. Nos vêtements, nos couvertures, nos sacs. Même la nourriture. Je peux comprendre qu’ils fassent leur travail, qu’ils nous attrapent quand on a fait une tentative de passage. Mais qu’ils nous empêchent de dormir, qu’ils nous frappent quand on marche dans la rue, je ne peux pas.» Il soupire : «Dans mon pays, je risque de mourir. J’ai risqué ma vie sur la route, j’ai fait un voyage impossible, j’ai traversé le désert, en Libye, j’ai fait de la prison, j’ai traversé la mer, j’ai vu la mort plusieurs fois. Maintenant, ici, quand je vois la police, j’ai peur. On stresse tous. On n’a plus que Dieu avec nous. Aujourd’hui, j’ai réussi à venir pour le repas du midi en me cachant : les policiers nous empêchaient de passer en disant « no food ». Parfois, ils nous embarquent, et nous déposent à quatre ou cinq heures de marche. Vous, quand vous êtes là, on est protégés. Mais dès que vous partez, ça recommence. Racontez. On est tristes et seuls ici.»