#ZEP Cinq jeunes racontent leur banlieue sans clichés

«Le soir, après une journée de travail, je monte les premières marches de l’escalier et je sens les odeurs du couscous de mes voisins. En une seconde, je m’évade et je voyage. Arrivé devant ma porte, j’entends mon voisin jouer de la guitare, et un mélange de chants gitans et bretons. Certains préféreraient sans doute se poser dans un silence morbide et éviter les odeurs de nourriture. Moi j’aime cette richesse, j’aime mon quartier. J’aime les valeurs qu’il me transmet, indirectement, tous les jours : le respect, la mixité et par-dessus tout, la tolérance. Ces trois valeurs m’ont appris à apprécier la différence.»

Hakim, 23 ans, étudiant, Grande-Synthe (Nord)
«Je ne supporte plus cette vie de iench»

«Je suis en bas. Tout le temps, tous les jours, toutes les nuits, à tourner en rond. Zépek me tend un joint. Je tire dessus un gros coup, expire. Là, j’oublie tout. Là, je me sens bien, ou plutôt, je ne me sens plus. Là, y a plus de colère. Y a plus d’angoisse, plus d’avenir à sauver, plus de mauvais souvenirs à oublier. Y a plus de shit dans la chaussette, y a plus d’embrouilles, plus de keufs. Y a plus la Mama en pleurs. Plus rien. J’ai mal, car la vie est si noire vue d’en bas. Je ne supporte plus cette vie de iench. A tenir les murs entre cafards, dealer entre cafards, se taper entre cafards, mourir entre cafards. Si encore y avait du respect pour ceux qui sont partis, paix à leur âme. Les morts en motos, les overdosés, les assassinés, les suicidés. Je ne supporterai pas une année de plus ici. J’en peux plus du béton, de la prison, des debza. J’en peux plus d’être enfermé ici. Faut que je m’évade. Demain, je tenterai le tout pour le tout. La première fois que j’en ai parlé aux autres, ils m’ont ri au nez. Puis quand ils ont compris que je ne blaguais pas, ils ont pris peur. Ils m’ont dit que je prenais des risques, que nos petits plans hass étaient plus sûrs. Qu’avec ces conneries je jouais ma vie. Maalich. Je n’ai pas besoin d’eux. J’irai solo. Je sortirai à l’aube, le sac en bandoulière. Que ça marche ou pas, demain je ne serai plus là. Demain c’est décidé, je retourne à l’école.»

Farah, 22 ans, étudiante (Seine-Saint-Denis)
«J’aimerais que le Président me dise ce qu’il pense»

«Quand je me suis posé la question de savoir ce que j’attends d’un président de la République, j’ai pensé à ma banlieue du 93 dans laquelle j’ai grandi et où je croisais tous les jours de jeunes ados en train de s’insulter ou de se battre comme si c’était anodin. J’ai pensé qu’ils ne savaient pas eux-mêmes qu’ils devenaient leur propre cliché et qu’ils allaient rester exactement là où on les attendait : c’est-à-dire pas bien haut dans l’échelle sociale, parce que d’autres n’avaient pas daigné leur donner les moyens de la monter. J’aimerais que le Président me dise ce qu’il pense de ce que c’est que de n’avoir pas de famille qui vous offre le vocabulaire, les livres, la culture, la musique, qui vous fasse parler et penser autrement, aller vers un autre destin que celui qui vous condamne d’avance. Je voudrais qu’il me dise pourquoi les mairies n’ont plus d’argent pour leur budget culture.