On reproche aux musulmans d’être communautaristes mais on leur demande de réagir contre le terrorisme en tant que communauté. Comment expliquer cette contradiction ?
Depuis la vague terroriste, qui a touché l’Hexagone en 2015, les citoyens français de religion musulmane sont sommés de se prononcer sur les événements dramatiques, voire de prendre publiquement leurs distances avec les djihadistes. De nombreux politiques, éditorialistes et leaders d’opinion reprochent aux musulmans de France d’être silencieux, voire indifférents face à la violence terroriste. Ce type de pressions renvoie à une forme d’injonction paradoxale ou de « double contrainte » (Olivier Roy) qui consiste à exiger des musulmans qu’ils soient invisibles dans l’espace public, tout en les priant de manifester collectivement leur condamnation du terrorisme.
Toutefois, cette injonction n’est pas récente. Elle s’inscrit, au contraire, sur le temps long (la colonisation, le traitement de l’immigration depuis les années 1970, le rapport aux quartiers populaires depuis les années 1980, la montée d’une certaine peur de l’islam depuis le 11 septembre 2001, etc.) et révèle les ambivalences des acteurs de notre société à l’égard des citoyens français de religion musulmane : ils souhaitent qu’ils se fondent totalement dans le « moule laïque et républicain », tout en les ramenant constamment à leur particularisme islamique. C’est une forme d’assignation à « résidence communautaire » qui est, en principe, contraire à nos valeurs laïques mais qui est toujours légitimée dès lors qu’on traite des musulmans. En ce sens, la crise terroriste est un moment révélateur d’un paradoxe français, où le retour d’un républicanisme identitaire se combine à une tendance à communautariser l’Autre.
Cette tendance n’est pas nouvelle. Les spécialistes du judaïsme ont bien montré dans leurs travaux cette injonction paradoxale, cette « aporie républicaine » (Alain Dieckhoff), qui exigeait des Juifs qu’ils deviennent des Français comme les autres, tout en les suspectant en permanence de communautarisme ou, pire, de double allégeance. Cependant, notre ouvrage évite de céder à une vision victimaire, en soulignant que le traitement public dont font l’objet les musulmans est une tendance enracinée dans notre Histoire et qu’elle est symptomatique des ambivalences de l’universalisme français qui a toujours besoin de créer un « Autre imaginaire » pour exister.