Questionnant les origines et mécanismes de la croyance, Umberto Eco, dans un entretien accordé au journal suisse Le Temps, pense que ce parallèle est non seulement possible mais central : « Les gens ne peuvent admettre que les choses arrivent « comme ça ». L’idée du complot est à la base de toute religion : il faut qu’il y ait une volonté à l’origine des événements, qu’elle soit d’origine divine ou humaine. Ainsi, le crime ou la grande catastrophe n’arrivent jamais par hasard ! Le complot machiavélique derrière les événements est une mythologie naturelle, qui répond à un besoin humain ».
Si l’on se plonge dans la nature du sacré néanmoins, les choses se compliquent. Selon le Larousse est sacré ce qui « appartient à un domaine séparé, inviolable, privilégié par son contact avec la divinité et inspirant crainte et respect ». Or, comme le souligne le philosophe et politologue Pierre-André Taguieff dans un entretien avec nouvelobs.com, « les récits complotistes s’adaptent au contexte politique, militaire, économique ou culturel. Cette accommodation à l’événement étant une condition de leur vraisemblance, donc de leur efficacité symbolique ». Les complotismes seraient donc profondément contemporains à l’inverse des croyances traditionnelles marquées par leur intemporalité.
Et si la théorie du complot était au fond une sorte de « foi négative », de foi sans transcendance, ni espoir, ni désir ?
Et si la théorie du complot était au fond une sorte de « foi négative », de foi sans transcendance, ni espoir, ni désir ? On y trouverait, comme dans les religions monothéistes, la conviction qu’une force invisible serait à l’œuvre et expliquerait beaucoup de phénomènes incompréhensibles, mais – à la différence des religions – que cette force est purement nuisible, qu’elle ne propose aucun sens, qu’elle ne s’offre à rien. Gemma Serrano, théologienne au Collège des Bernardins, pose la question suivante lors d’une intervention filmée en octobre 2017 : la soif de Dieu émane-t-elle du besoin ou du désir ?