Combien sont-ils ? Combien coûte l’accueil des migrants ? Les discours sur l’immigration sont souvent fantaisistes. Décryptage en quatre points, chiffres à l’appui.
article publié sur le site de National Geographic France; le 17 09 2019
« La France ne peut accueillir toute la misère du monde » : les discours sur les migrants se résument souvent à cette phrase, prononcée par Michel Rocard en 1989. Alors même qu’elle fut nuancée, plus tard, par l’ancien Premier ministre, la formule a marqué la politique française et les esprits. Or elle laisse entendre que les migrants sont trop nombreux, toujours pauvres et que leur accueil coûte trop cher. Une image que l’on retrouve également dans les questions et réactions fréquentes sur les réseaux sociaux.
« Les chercheurs qui travaillent sur les migrations sont très frustrés de constater ce décalage total entre les discours et la réalité des flux migratoires », souligne Camille Schmoll, géographe à l’université de Paris. L’an dernier, avec des collègues, elle a lancé un appel en faveur d’un groupement international d’experts sur les migrations, sur le modèle de celui qui existe sur le changement climatique. « Bien sûr, il peut y avoir des débats entre spécialistes du sujet, mais nous constatons tous que les politiques migratoires ne se fondent jamais sur notre expertise. »
Retour en quatre questions récurrentes sur ces préjugés qui faussent notre regard sur les migrations.
Combien y-a-t-il des migrants ?
D’après les chiffres publiés par les Nations unies, plus de 247 millions de personnes ne vivent pas dans leur pays de naissance, soit 3,4 % de la population mondiale. Pour la France métropolitaine, ils font état de près de 8 millions d’immigrés, plus quelques centaines de milliers en outre-mer. Environ la moitié vient d’Afrique (Algérie, Maroc et Tunisie en majorité) et un peu plus d’un tiers d’autres pays européens (Portugal, Italie et Espagne, en particulier). La définition d’un immigré retenue ici est cependant très large : elle inclut tout individu n’étant pas né sur le territoire, dont les Français nés à l’étranger (1,7 million d’après l’Insee) et les personnes naturalisées (2,4 millions).
Cela équivaut à environ 12 % de la population, une proportion qui place la France à la 48e position sur 194 territoires classés. Ce taux a tendance à être exagéré. Comme le remarque le démographe Cris Beauchemin sur le site de l’Institut convergences migrations, une enquête questionnant les Français sur le nombre de personnes nées à l’étranger obtient une estimation moyenne de 27 %. Bien loin de la réalité. « De plus, affirmer dans un discours que les migrants sont trop nombreux n’a pas de sens, ajoute Camille Schmoll. On peut discuter des effets positifs ou négatifs des migrations, mais il est impossible de croire qu’elles vont disparaître. »
Les migrants sont ils miséreux ?
L’idée que les immigrés proviennent des populations les plus pauvres et les moins qualifiées est également fausse. En France, on recense près de 300 000 étudiants étrangers et environ 50 000 médecins nés hors du pays. Si on étudie le niveau de diplôme des immigrés, deux chiffres retiennent l’attention. D’une part, 42 % n’ont pas de diplôme, soit deux fois plus que dans la population française. Mais ils sont aussi près de 20 % à détenir un diplôme supérieur à bac+2, soit un peu plus que la statistique pour les non-immigrés. Les migrants installés en France ont donc un niveau de qualification très inégal, mêlant beaucoup plus que dans le reste de la population ces situations extrêmes.
« Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les populations des pays les plus pauvres, ceux où l’on gagne en moyenne moins de 1005 dollars par an et par personne, qui migrent le plus, explique François Héran, démographe et titulaire de la chaire “Migrations et sociétés” au Collège de France, dans une interview au journal du CNRS. Car, pour migrer, il faut un minimum de moyens. Ce sont les pays aux revenus “moyens faibles” ou “moyens élevés”, selon les catégories de la Banque mondiale, qui migrent le plus, soit entre eux, soit vers les pays aux revenus “élevés” affichant en moyenne 12 000 dollars de revenus annuels par personne. »
Combien coûte l’accueil des migrants ?
En décembre dernier, un sondage de l’Ifop annonçait que « près des trois quarts [des Français] considèrent que l’immigration coûte plus à la France qu’elle ne lui rapporte » (enquête réalisée pour le Journal du dimanche, l’American Jewish Committee et la Fondation Jean-Jaurès auprès d’un échantillon de 1 015 personnes sélectionnées selon la méthode des quotas). Pourtant, trois chercheurs français ont publié en 2018 une étude dans Science Advances sur l’effet des migrants sur l’économie de pays hôtes. Leur conclusion : les migrants ne sont absolument pas un fardeau. En comparant les données de l’OCDE sur quinze pays européens, entre 1985 et 2015, ils observent ainsi que l’accueil des migrants favorise une augmentation du PIB par habitant, une baisse du chômage et une amélioration du solde des dépenses publiques.
Dans la revue de l’Institut convergences migrations, l’économiste Xavier Chojnicki obtient des résultats légèrement différents. Pour sa part, il estime que la contribution aux comptes publics est proche de zéro, mais peut s’avérer positive ou négative selon les méthodes de calcul utilisées : « Comme la population immigrée est beaucoup plus concentrée dans les catégories d’âge qui correspondent à la vie active (entre 25 et 60 ans), celles où les individus contribuent davantage aux finances publiques qu’ils n’en bénéficient, la contribution nette globale des immigrés se rapproche de zéro. C’est-à-dire que la population immigrée, dans son ensemble, verse quasiment autant aux administrations publiques qu’elle reçoit. »
« C’est un sujet complexe, admet Camille Schmoll. Les chercheurs ne sont pas unanimes, et l’impact dépend largement de la situation économique du pays d’accueil. L’effet sur le chômage n’est pas évident : celui-ci peut augmenter dans certains secteurs, mais l’arrivée de migrants peut aussi créer de nouveaux emplois. Une seule chose est sûre : il ne s’agit pas d’un poids pour les finances de l’État. »
Faut-il fermer les frontières ?
Les idées reçues sur le nombre et le coût des immigrés justifient souvent les politiques de limitation des migrations par la surveillance des frontières, la diminution du nombre de titres de séjours… Ces stratégies protectionnistes, loin d’empêcher les migrants de venir, augmentent l’investissement financier de ceux-ci pour gagner l’Europe (lire notre article). En fait, ces difficultés supplémentaires limiteraient plutôt leurs possibilités de retour dans leur pays d’origine.
C’est ce qu’affirme Marie-Laurence Flahaux dans sa thèse de sciences politiques et sociales. « Les enquêtes Migrations entre l’Afrique et l’Europe, menées à la fin des années 2000, ont montré que, à leur arrivée en Europe, de nombreux migrants envisageaient seulement une migration temporaire et avaient l’intention de repartir. […], explique-t-elle dans un article pour De facto. Plus il est difficile de migrer vers l’Europe, moins les migrants retournent dans leur pays d’origine. Ils anticipent les difficultés de réinsertion dans un pays qu’ils ont parfois quitté depuis longtemps. »
« Au sujet de la fermeture des frontières, on se demande si l’objectif est véritablement d’agir sur les migrations ou s’il s’agit uniquement d’un exercice de communication, ajoute Camille Schmoll. Cependant, certaines politiques menées ces dernières années fonctionnent, notamment les moyens mis en place pour empêcher les migrants de quitter la Libye. Mais, au vu des nombreuses maltraitances dénoncées par les associations et les Nations unies, il serait bon de discuter si un tel coût humain est acceptable pour une politique en décalage complet avec la réalité. »