Selon Patrick Weil, la laïcité n’est pas si difficile à définir. Pour que chacun se l’approprie aujourd’hui, l’historien spécialiste des migrations et de la citoyenneté revient, en vidéo, à la lettre du texte de 1905.
article par Camille Renard publié sur le site franceculture.fr le 08 12 2020
Le 9 décembre 1905, la loi de séparation des Églises et de l’État est promulguée. Comme chaque année, le 9 décembre est l’occasion d’une commémoration officielle de la loi, un anniversaire particulièrement sensible cet automne à la suite de l’assassinat de Samuel Paty.
L’historien spécialiste des migrations et de la citoyenneté Patrick Weil revient à la lettre du texte de 1905, pour en comprendre le plus simplement possible les principes, fondés sur le droit, et toutes leurs applications : garantir la liberté et l’égalité, grâce à la fraternité.
Qu’est-ce que la laïcité : l’article 1
Patrick Weil : « La laïcité, c’est quoi ? Pour répondre à cette question, il suffit d’abord de lire l’article 1 de la loi de 1905 : ‘la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous réserve de dispositions d’ordre public énoncées ci-dessous.’ La liberté de conscience dans ces deux phrases n’a pas de réserve d’ordre public. Elle est absolue. Mais qu’est ce que le libre exercice des cultes ? Beaucoup de gens croient que ça veut dire le droit d’aller à l’Eglise, à la mosquée, à la synagogue ou au temple. Ça n’est pas ça que cela veut dire. Parce que lorsqu’on interroge, au moment du débat, le rapporteur Aristide Briand, dit : ‘C’est la manifestation extérieure de la foi, et c’est le terme juridiquement consacré.’ Pourquoi, dit-il ‘c’est le terme juridiquement consacré’ ? »
Avant la loi de 1905 : le Code pénal
Patrick Weil : « C’est parce qu’avant 1905, il y avait dans le Code pénal un article qui disait que si quelqu’un faisait pression sur une autre personne pour le contraindre à exercer son culte ou l’en empêcher, cette personne pouvait avoir une amende ou aller en prison. Donc, la Cour de cassation a élaboré une définition à partir de la jurisprudence sur cet article. Et qu’est ce qu’elle dit ? Elle dit que par rapport à la liberté de conscience qui est la faculté d’accepter ou de refuser dans son for intérieur une divinité, le libre exercice des cultes, c’est toute manifestation extérieure de la foi. Donc, si, par exemple, vous portez une croix dans la rue ou dans le métro, ou si vous portez un voile ou une kippa, extérieurement, qui marque extérieurement votre foi, vous exercez votre culte. Et comme cet article du Code pénal qui était avant la loi de 1905, a été mis dans la loi, dans l’article 31, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que l’article 1 peut se résumer de la façon suivante : la laïcité, c’est d’abord la liberté de croire ou de ne pas croire sans pression. Parce que s’il y a une pression, la personne qui l’exerce peut avoir l’amende ou la prison. »
Qu’est-ce que la laïcité : l’article 2
Patrick Weil : « Après, il y a l’article 2. L’article 2, c’est celui que tout le monde connait parce que c’est le titre de la loi, c’est la séparation des Églises et de l’État. Et pourquoi il vient après l’article 1 ? Parce qu’une fois qu’on a dit qu’il y avait la liberté de croire ou de ne pas croire sans pression, Briand dit, et celui qui l’a aidé à écrire son rapport, explique qu’avant 1905, quand il y avait des cultes reconnus, si vous aviez une religion non reconnue, vous étiez infériorisé. Et si vous étiez non-croyant, vous n’étiez pas non plus respecté comme les cultes reconnus. Donc la condition de l’égalité des citoyens devant le statut de croyant et de non-croyant, c’est que l’État soit neutre et c’est pour ça que la séparation est instituée pour garantir la neutralité de l’État. D’ailleurs, dès 1905, l’islam est intégré dans la loi puisque l’Algérie, et c’est débattu au Parlement, fait partie de la loi de 1905. Même si le gouvernement va suspendre l’application de la loi en Algérie et cela durera jusqu’à l’indépendance, cette suspension. »
Les quatre espaces de la laïcité
Patrick Weil : « Une fois qu’on a dit liberté et égalité, ça crée, ça produit quatre espaces :
- l’État neutre, il y a l’espace neutre de l’État,
- le lieu de culte où va s’appliquer la règle de la religion qui le gère,
- l’espace du domicile où si vous voulez que les gens mettent des chaussons ou un chapeau quand ils entrent chez vous, vous faites la règle que vous voulez.
- et puis il y a tout le reste, qu’on appelle l’espace public.
Alors, il va y avoir des conflits, il va y avoir des conflits sur ‘est-ce que j’ai le droit de faire ceci, ou cela…’ Et puis, il y a des gens qui ne pensent pas la même chose. Et dans cette reconnaissance de la liberté de l’individu et de l’égalité de tous, vous avez une très grande diversité des options spirituelles. Donc, il faut le troisième volet, c’est la fraternité, c’est-à-dire trouver des compromis. Après 1905, c’était ‘est-ce que les cloches peuvent sonner à l’appel de chaque messe ?’ Les athées n’avaient pas envie d’entendre les cloches sonner tout le temps. Les maires ont organisé des compromis pour que les cloches sonnent au moment des événements, comme les mariages ou les enterrements, la messe du dimanche, et puis voilà, ça va dépendre de chaque arrangement local. Vous pouvez avoir le même type de discussion sur, par exemple, les repas dans les cantines scolaires. Si des enfants ne veulent pas manger du porc parce que c’est contraire à leur religion juive ou musulmane, eh bien si vous vous servez du porc, il faut essayer d’offrir une alternative comme un repas végétarien, voire un repas halal ou casher. Mais il y a parfois des situations où il n’y a pas de fraternité possible. Quand, par exemple, il y a eu des pressions sur les jeunes filles perçues comme musulmanes pour qu’elles portent le voile de force, c’était au moment de 2003, la commission Stasi, dont j’ai fait partie, il n’y a pas eu d’autre solution que de passer une loi pour dire la cause de la pression. Un signe ostensible qui était le voile et donc tous les signes ostensibles ne sont plus autorisés dans les écoles publiques et pour les jeunes filles qui portaient le voile sans faire aucune pression, elles ont l’option dans notre système, de pouvoir aller dans des écoles privées sous contrat qui, même si elles ne sont pas musulmanes, ont l’obligation de recevoir des enfants de toute option spirituelle. »
Ecrire un récit national pour tous
Patrick Weil : « Je veux dire pour conclure la chose suivante. Tout le monde admettra que la laïcité, c’est bien-sûr le droit de ne pas croire. Mais pour avoir cette option de ne pas croire, quand par exemple, on a été élevé dans la foi d’une religion, il faut pouvoir se sentir chez soi dans l’espace de la citoyenneté.
Si, quand on vous regarde, on ne vous ressent pas comme citoyen, mais on dit ah tiens, celui là, on l’appelle par sa religion, on enferme des compatriotes dans le seul endroit où ils se sentent finalement dans une maison, qui est la maison d’une foi. La réalité de la France, et sa richesse, elle nous vient de ce que sont venues habiter le pays des personnes qui sont venues de notre ancien empire ou de pays voisins immigrés. Et donc, cette histoire de l’empire et cette histoire de l’immigration, elle doit faire partie de l’histoire que l’on apprend, une histoire qui s’intègre à notre histoire nationale et qui fait que nous avons une citoyenneté partagée. «
Du bon usage de la tolérance, avec Claude Habib