Les Français vous semblent-ils faire la part des choses entre ce qui est de l’ordre de la violence terroriste, de l’ordre du religieux et de l’ordre enfin des relations du quotidien ?
Gilles Clavreul : C’est ce que j’observe en effet, et il me semble important de dire que, dans cette évolution, les Français de confession musulmane jouent eux-mêmes un rôle moteur, très loin de l’image de victimes passives dans laquelle les entrepreneurs identitaires veulent les enfermer. Si les Français « majoritaires », c’est-à-dire non musulmans, ont une image plutôt positive et une relation normale à l’islam et aux musulmans, on le doit à la fois au socle de valeurs républicaines et à l’engagement des Français musulmans dans la citoyenneté. Cette dynamique échappe pour l’essentiel aux manipulations des entrepreneurs identitaires, ce qui est heureux ; en revanche, cela ne règle pas l’enfermement idéologique, mais aussi culturel, social, mental, d’une partie de la jeunesse musulmane, qui s’est ancrée dans un islam bigot, ritualiste à l’extrême, marqué à la fois par le rigorisme des valeurs et le rejet de la France. Et cela ne règle pas non plus l’isolement croissant de ces Français ancrés dans une vision crépusculaire où l’islam vient signifier, de façon fantasmatique, leur propre effacement de la surface du monde. Là-dessus, la classe politique, les intellectuels, les acteurs sociaux, n’ont pas trouvé la réponse. Nous vivons dans de grands espaces ouverts, et pour l’essentiel, nous en profitons. Mais plein de petits fortins s’élèvent tout autour de nous. Ces barricades qui se dressent, nous aurions tort de seulement les contourner : c’est notre propre horizon qu’elles bouchent, à court terme.