« Des pays en Débat » : la fado, chanter la mélancolie au Portugal

Avec “Des pays en débat”, Pierre Henry retourne en studio pour décrypter un pays sous l’angle des droits de l’Homme. Les sujets abordés gravitent autour des libertés publiques, des droits des femmes et des diverses révoltes populaires dans certains pays du globe. 

Aujourd’hui, on vous parle du Portugal. Sous un angle bien particulier, qui concerne son patrimoine musical : le fado. Pierre Henry reçoit Jean-Luc Gonneau, un spécialiste du fado en France. Il revient sur l’histoire de ce genre musical et sa place historique dans la culture populaire portugaise.

Entretien

Le fado, c’est de droite ou de gauche ?

C’est à la fois une bonne question et une question qu’il faut replacer dans un cadre plus général. Le fado, c’est une musique, ça fait donc partie de l’univers culturel. Alors on pourrait dire que la culture c’est de gauche ou de droite, Cela dépend. En fait, le fado au Portugal est né il y a 200 ans. Donc il a suivi son époque. Le fado, ça raconte la vie. On dit souvent que le fado, c’est triste. Chanter quand la vie est triste, ça peut être très joyeux. Et évidemment, dans la vie, ben y’a des problèmes qui se posent avec la société. Donc suivant les périodes, on a eu un fado qui a été orienté à gauche, a été le cas à la fin du XIXᵉ siècle et jusqu’aux années 1920 qui a correspondu à des troubles politiques à la première République portugaise et à partir de 1923, la dictature est arrivée.

Quel était sa place pendant la dictature salazariste ? 

Il a été l’objet d’une censure impitoyable par le gouvernement. En fait, malgré tout, même pendant cette période, il y a eu des fado un peu clandestins qui ont continué malgré qu’il ait été banni des radios et des télévisions. Et Amalia Rodriguez, la grande diva du fado, a été quasiment interdit d’antenne pendant plusieurs années avant de revenir. Aujourd’hui, on peut dire que la circulation est apaisée. Il y a une situation politique qu’on voit dans toute l’Europe où finalement on a des gouvernements qui sont vaguement à gauche, vaguement à droite, sans qu’on puisse distinguer effectivement une idéologie derrière l’art.

Le fado est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Finalement, c’est un art populaire ou c’est une simple nostalgie ? 

C’est un art populaire. Mais incontestablement, il diffère du folklore parce que le fado a su évoluer. Le folklore, en fait, reprend des formes anciennes et les maintient en vie, mais sans apporter de modifications ou de nouveautés. Le fado, lui, a évolué. Il évolue dans la musique, on le voit même beaucoup quelquefois, et surtout dans les textes.

Y a t’ il des productions actuelles ? Le fado, ça existe vraiment aujourd’hui ?

Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui, mais à chaque fois que l’une des stars du fado sort un nouveau CD, il est toujours dans les cinq premiers du classement du top dix ou des ventes. Donc c’est un genre qui reste quand même très importants au Portugal.

Sur le Portugal

La France serait le troisième pays d’accueil après le Brésil et les Etats-Unis de la communauté portugaise avec plus de 500 000 personnes. Là où il sont, ils recréent, inventent un petit Portugal.

Et de fait, nombre d’associations portugaises maintiennent ici bien des éléments de la culture, au sens large, de leur pays d’origine, organisant bals, banquets cours de langue, danse, sports.

L’arrivée massive en France eut lieu dans les années 1960/70. Deux raisons principales : échapper à la misère, mais aussi à la dictature et aux guerres coloniales. Beaucoup viendront très majoritairement des zones rurales du nord ou du centre du Portugal.

Les autres souvent des étudiants, des intellectuels, des militants politiques, plus souvent issus des zones urbaines, étaient plus réservés sur le fado et ses trois « F » : fado, fatima, futebol.

Jose Malhoa (1910)

Le fado est sans doute la plus ancienne des musiques urbaines. Il demeure bien vivant tant au niveau du Portugal qu’à celui de la scène musicale internationale. Né à Lisbonne, il fait partie de ces musiques portuaires, tel le jazz (Nouvelle-Orléans), le tango (Buenos Aires, Montevideo), la samba (Rio de Janeiro, Salvador da Bahia) ou comme le rebetiko (Athènes).

C’est une musique métissée, les ports étant des lieux de brassage des populations, une musique d’origine populaire, prolétarienne même, il fut longtemps vilipendée par les classes dirigeantes comme une «musique de prostituées et de voyous». Il conquit peu à peu les classes moyennes grâce à l’intérêt que lui portèrent quelques aristocrates, les «marialvas» venus s’encanailler dans les bas-fonds lisboètes.

Un outil politique…

Le fado va accompagner la montée de revendications républicaines, socialistes, anarchistes à la fin du XIXe siècle et au début du suivant, avec des textes très engagés, parfois violents.

Puis vint la dictature salazariste. Il devient alors « chanson nationaliste», qui eut un succès touristique spectaculaire, diffusée dans tout le pays par la radio alors naissante, puis propulsé sur la scène internationale par la voix de la grande interprète que fut Amalia Rodrigues.

Contrecoup injuste mais prévisible, le fado est assimilé à la dictature après le coup d’Etat des jeunes militaires le 25 avril 1974 et la chute du salazarisme. Après avoir été conspué par la droite, le voilà qui le devenait par la gauche. De droite ou de gauche le fado ? Simple nostalgie ou art populaire ?

Diffusion samedi 28 janvier à 8h20, rediffusion le dimanche à la même heure. La fréquence francilienne de Beur FM est 106.7.  Si vous souhaitez écouter l’émission depuis une autre région française, vous trouverez toutes les fréquences en suivant ce lien.