« Des pays en débat » : le Maroc vu par l’économiste Fouad Abdelmoumni

Avec “Des pays en débat”, Pierre Henry retourne en studio pour décrypter un pays sous l’angle des droits de l’Homme. Les sujets abordés gravitent autour des libertés publiques, des droits des femmes et des diverses révoltes populaires dans certains pays du globe. Aujourd’hui, rendez-vous au Maroc. 

Fouad Abdelmoumni est économiste et membre de la direction générale de Trensparency Maroc. Son regard sur la situation actuelle au Maroc nous en apprends davantage quant au système économique du royaume qui reste un Etat corrompu et en proie à un conflit sans fin au Sahara Occidental. Il nous explique les conséquences de ce conflit sur la vie des marocains qui depuis quelques mois se révoltent dans les rues.

Entretien

En mars dernier, Omar Radi, journaliste indépendant, a été condamné à six ans de prison ferme. Il est accusé d’avoir fourni un soutien à une association suisse qui défend le Front Polisario. Y a t’ il des limites à ne pas franchir lorsqu’il s’agit de la défense des intérêts stratégiques du Maroc ? 

Omar a été condamné pour intelligence avec des puissances extérieures. D’une manière tout à fait farfelue. Et la question du Polisario n’est pas apparue de manière directe. Il y a beaucoup d’ONG internationales qui sont actives sur le territoire marocain. Elles apportent un appui humanitaire aux populations sahraouies dans la région de Tindouf. Donc la question ne se pose pas uniquement ou directement sous cet angle.

Quelles sont les raisons de son arrestations ? 

Omar a été arrêté, poursuivi, condamné essentiellement parce qu’il est un journaliste d’investigation qui gêne, parce qu’il sort des dossiers. Dans un langage qui dénonce les méfaits du régime. Et on peut croire que son déplacement en Algérie et les déclarations qu’il a faites à la presse algérienne ont renforcé l’ire du régime contre lui. A l’évidence, critiquer la monarchie de manière directe, son absolutisme ou la question de l’intégrité territoriale concernant le Sahara Occidental sont des lignes rouges dont on paye le prix.

Comment le gouvernement les justifient elles ?

Le régime, depuis quelques années maintenant, a commencé à saupoudrer les poursuites par des accusations de crimes de droit commun. Ça a été le cas pour au moins une demi douzaine de journalistes et d’activistes. Ils ont été condamnés pour des crimes de droit commun, alors que tout le monde considère qu’ils sont poursuivis pour leurs opinions et leur expression. Le fait qu’il ait été primé par Reporters Sans Frontières la semaine dernière du Prix de l’indépendance est indicateur des positions des organisations internationales sur ce genre d’accusations.

Le conflit du Sahara occidental perdure depuis 60 ans, pollue les relations entre l’Algérie et le Maroc. l’Algérie a d’ailleurs fermé ses frontières, a cessé tout échange commercial avec son voisin marocain. Quelle influence ça a sur l’économie marocaine ? 

Le monde entier s’accorde à considérer que l’absence de relations économiques minimales entre le Maroc et l’Algérie fait perdre à l’ensemble des pays du Maghreb quelque chose comme deux points de PIB, si ce n’est plus. Il faut savoir que le Maroc et l’Algérie sont lancés dans une course effrénée à l’armement qui généralement leur coûte environ 5 % de leur PIB. Et cette année, on est en train d’aller vers des niveaux stratosphériques avec plus de 5 milliards de budget officiels pour l’armée au Maroc et plus de 20 milliards pour l’Algérie. On est en train de dilapider complètement les ressources de la région. Et on rajoute à cela évidemment tout ce qui se rapporte à l’achat des consciences, le fait qu’on est en train de corrompre des puissances internationales.

Depuis quelques semaines, il y a des manifestations sporadiques qui agitent un certain nombre de villes au Maroc. Il semble que ces manifestations tournent autour de la question du pouvoir d’achat. Comment le gouvernement marocain réagit-il ? 

La croissance molle due à la sortie de la pandémie prend place dans un contexte où la création de richesses est extrêmement faible et les emplois sont rares. On remarque qu’on est en train d’arriver aux limites de cette gestion. Le chef du gouvernement actuel est l’un des principaux capitalistes du Maroc. Il a été reconnu par diverses instances officielles comme ayant manipulé les prix des hydrocarbures pour faire des surprofits avec ses collègues du secteur. Et on ajoute à tout cela le fait que la monarchie a décidé officiellement d’interrompre toute poursuite contre lui à cet égard. On est réellement dans une situation où le sentiment négatif envers les élites au pouvoir est très renforcé. Elles sont tenues pour responsables du marasme économique du pays.

Sur le Maroc

©AFP

Longtemps connue sous le nom de Port de Tombouctou, forte de sa « renommée », Essaouira devient le haut lieu du commerce atlantique, entre l’Afrique et l’Europe à la fin du XVIIIe siècle.  Les portugais battant pavillon y construisent la première citadelle à l’entrée du port, pour ensuite être fortifiée « à la mode Vauban » par les français.  

Il y a ses magnifiques montagnes, vallées , son désert saharien,  ses lions de l’Atlas, l’équipe de foot qui a fait rêver plus d’un supporter en décembre dernier lors de la Coupe 2022. Mais le Maroc  est aussi et surtout un pays de 36 millions d’habitants bordé par l’océan Atlantique à l’Est et par l’Algérie à l’Ouest. Le Maroc, c’est  15 millions de visiteurs par an, en saison normale, ça représente 10% du PIB. Ce sont aussi des ressources minières de phosphate assez importantes qui font du Maroc la cinquième économie africaine. Le roi Mohamed VI se tourne d’ailleurs vers l’Afrique , avec qui il tisse des liens économiques et politiques forts.

Colonisé tour à tour par l’Espagne et la France, le royaume parvient à entamer sa propre histoire en 1956, lorsqu’il déclare son indépendance. Le roi Mohammed V s’allie avec le mouvement indépendantiste de l’ISTIQLAL et négocie avec l’occupant français. Notamment une aide concernant les communistes du royaume et les indépendantistes algériens qui troublent son règne.

Un désert convoité

Le territoire du Sahara occidental représente un conflit insoluble entre l’Algérie et le Maroc, qui le revendique comme un “héritage historique”. Désertique mais riche en pétrole, les ressources de ce territoire côtier est le moteur du conflit. L’ethnie des Sahraoui, peuple nomade qui revendique son territoire prend aussi part aux revendications.   

Mohamed VI à la tête d’un gouvernement répressif

Le Maroc reste un pays avec de fortes inégalités sociales et régionales, où l’analphabétisme et le chômage sont importants. Le taux d’analphabétisme atteint 41 % des femmes contre 22 %  des hommes. Les marocains sont majoritairement attachés à l’image du roi, qui est aussi le “commandeur des croyants”. Dans un pays où l’islam est religion d’Etat, il est un référent religieux. Le Maroc est une monarchie constitutionnelle où le pouvoir est partagé avec un gouvernement élu. La peine de mort y est toujours en vigueur mais n’est plus appliquée depuis 1993. 

L’homosexualité y est réprimée et peut couter jusqu’à trois ans de prison. Manifester son opposition au roi un peu trop bruyamment peut là encore coûter l’enfermement.

Diffusion samedi 04 février 2023 à 8h20, rediffusion le dimanche à la même heure. La fréquence francilienne de Beur FM est 106.7.  Si vous souhaitez écouter l’émission depuis une autre région française, vous trouverez toutes les fréquences en suivant ce lien.