« Des pays en débat » invite Adam Baczko, spécialiste de l’Afghanistan

Avec “Des pays en débat”, Pierre Henry retourne en studio pour décrypter un pays sous l’angle des droits de l’Homme. Les sujets abordés gravitent autour des libertés publiques, des droits des femmes et des diverses révoltes populaires dans certains pays du globe. Aujourd’hui, l’Afghanistan en débat. 

Adam Baczko est chercheur en sciences politiques affilié au laboratoire CERI. Il est aussi spécialiste des conflits civils en Syrie et en Afghanistan, c’est pourquoi il est l’invité de notre émission pour parler de la situation actuelle dans ce pays en guerre depuis plus de 40. Près de 6 millions d’afghans ont quitté leur pays et représentent aujourd’hui 25% de la population réfugiée dans le monde.

Entretien

Un an après le départ des troupes américaines et la promesse des talibans faite à la communauté internationale de préserver des droits fondamentaux, le pays est soumis à la loi islamiste la plus stricte. Qu’est ce que cela signifie concrètement pour les femmes et les hommes afghans ? 

Dans les dix-huit derniers mois, le nouveau régime mis en place les talibans a beaucoup hésité. Ils ont commencé avec une ligne qui mettait en avant une forme de pragmatisme dans l’espoir d’obtenir des formes de reconnaissance. Ils sont rentrés dans une stratégie de durcissement de plus en plus claire, notamment avec les dernières déclarations. La première, ça signifie qu’énormément de libertés publiques sont réduites, notamment dans les villes.

Que peut-on dire de l’accès à l’éducation ?

On est probablement aujourd’hui dans un pays dont la majorité est urbaine. Comme ça signifie aussi toute une série de restrictions qui s’abattent d’abord évidemment sur les femmes, notamment concernant l’accès à l’éducation. Contrairement à ce qu’on dit, il existe des écoles ouvertes aux femmes dans certaines régions, mais pas partout. Il n’y a pas de politique réellement cohérente à l’échelle du pays, mais pour beaucoup de femmes, l’accès à l’école qu’elles avaient avant est restreint, voire inexistant. On commence à avoir l’application des peines les plus sévères. Les talibans s’étaient restreints dans leur application l’année dernière mais depuis récemment, on a eu quelques quelques exécutions publiques et on annonce de la part des militants que celles-ci se multiplient.

Que dire de l’opposition ? Existe t-elle ?

La critique du régime est quasiment impossible aujourd’hui. L’opposition est très limitée et très rare. Elle est surtout faite à l’extérieur du pays. Et il faut savoir que l’Afghanistan traverse l’une des crises les plus graves de son histoire, puisque vous avez aujourd’hui une famine qui s’est abattue sur le pays, 95% des Afghans sont en dessous du seuil de pauvreté. La moitié de la population meurt de faim. Alors, vous avez une situation humanitaire absolument critique qui d’ailleurs n’est pas que du ressort des talibans. Elle est aussi du ressort du régime précédent et des pays occidentaux qui finançaient assez largement ce régime là. La situation de faim actuelle en Afghanistan, elle vient de la mauvaise gestion et des sécheresses qui se sont abattues sur le pays dans les années avant la prise de pouvoir talibane.

Que peut faire la communauté internationale ? Est ce qu’on a définitivement laissé tomber l’Afghanistan ? 

Plus personne aujourd’hui ne tentera de renverser le régime taliban. Il est maintenant installé, et même les pays ne tenteront plus de jouer un rôle. Les pays voisins, l’Iran, le Pakistan ou même l’Inde veulent une forme de stabilité. Il faut que les 43 ans de guerre civile s’arrêtent car ils ont eu des conséquences délétères sur chacun d’entre eux. Mais aujourd’hui, es chancelleries occidentales sont entrées dans une logique d’isolement envers l’Afghanistan. Pour de très mauvaises raisons d’ailleurs, parce qu’ils suivent la stratégie américaine qui bloque les financements à très grande échelle. Biden ne peut pas apparaître auprès de l’opposition républicaine comme étant complaisant envers les talibans. Et donc toute forme de discussion, de négociation, d’échange avec le régime taliban est proscrit. Les pays occidentaux sont non seulement dans une dans une logique de retrait tout en bloquant l’arrivée de financements des aides humanitaires.

On sait que l’Afghanistan est riche en matières premières, en lithium notamment, qui permet la fabrication de batteries, de smartphones, etc. Quelles sont les relations de l’Afghanistan avec la Chine ? 

Les talibans avaient beaucoup d’espoir que les Chinois s’investissent vite dans le pays mais ces derniers restent prudents. L’Afghanistan a des ressources naturelles, mais aussi d’autres terres rares, qui impliquent des investissements. Les Chinois n’investiront pas les sommes gigantesques qu’impliquerait l’extraction de ces ressources là s’ils n’ont pas des garanties sur quinze, vingt, vingt-cinq ans. Ce sont des choses que les talibans ont du mal à faire. Dans un dans un futur à moyen terme, il est possible que le régime taliban parvienne à faire venir les Chinois sur leur territoire. C’est même probable. Mais ce sont vraiment des choses qui se joueront dans la prochaine décennie et pas tout de suite. Aujourd’hui, le régime taliban, il ne peut compter fondamentalement que sur la seule ressource qui lui reste, c’est à dire les ressources douanières.

A propos de l’Afghanistan

OMER ABRAR / AFP ©

Depuis près d’un demi siècle, les 40 millions d’habitants de ce pays sont menacés par les guerres.

Autrefois point central des routes de la soie, ce pays entouré par le Pakistan, l’Inde, l’Iran notamment est multiethnique. La population afghane peut être divisée en quatre principaux groupes ethniques : les Pachtounes (38%), les Tadjiks (25%), les Hazaras (19%) et les Ouzbeks (6%).  Depuis la prise du pouvoir par les Taliban, sunnites, les Afghans chiites (20 % des afghans)  dénoncent une discrimination systématique  et l’incapacité des nouvelles autorités à assurer leur sécurité.

Les Nations unies estiment que le poids de l’économie de l’opium équivaut entre 6 et 11 % du PIB de l’Afghanistan. Elle génère 2 milliards de dollars de chiffre d’affaires, soit plus que la valeur de l’ensemble des exportations de biens et services réunis du pays. 97% de l’opium importé dans le monde provient d’Afghanistan.

Il compte parmi les pays ayant le sous-sol le plus riche du monde. Il a de vastes réserves de cuivre, de fer, de bauxite, de zinc, d’or, de platine, d’argent, de chromite, de lithium, d’uranium mais aussi du mercure, du marbre, du talc, sans compter le pétrole et le gaz naturel.

Un conflit incessant

L’Afghanistan c’est le résumé de politiques aveugles de la communauté internationale depuis un demi siècle. Certes L’Union Soviétique a envahi le pays en 1979 afin d’y appuyer un coup d’État des communistes. Elle s’en retira après dix ans de coûteux combats contre des insurgés afghans armés par les États-Unis, le Pakistan et l’Arabie Saoudite. Résultat : des dizaines de milliers de morts civiles et 6 millions de réfugiés et déplacés.  

Quatre ans plus tard, ce sont les talibans qui s’emparent à leur tour du pouvoir et permettent à un certain Oussama ben Laden de s’installer dans le pays. Les Afghans mais surtout les Afghanes sont alors sous l’emprise d’un pouvoir strict, qui réduit à néant toute forme de droits. Puis survient l’attentat des tours jumelles à New York revendiqué par Al-Qaïda.

Dernièrement, le retour des talibans

Mustapha Dalaa ©

La guerre est déclarée par les Etats-Unis à la tête d’une coalition de 40 états dont la France, le 7 octobre

2001. Deux mois plus tard, les talibans sont chassés du pouvoir. Les services américains assassinent Ben Laden le 5 mais 2011. Et le 15 août 2021, Kaboul tombe, les Etats-Unis quittent l’Afghanistan laissant le pays une fois de plus aux mains des talibans. Ces derniers s’empressent de revenir à leurs bonnes vieilles méthodes : exécutions publiques, disparition des femmes des espaces publics et de leur mise sous tutelle des hommes.

Diffusion samedi 11 février 2023 à 8h20, rediffusion le dimanche à la même heure. La fréquence francilienne de Beur FM est 106.7.  Si vous souhaitez écouter l’émission depuis une autre région française, vous trouverez toutes les fréquences en suivant ce lien.

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