La communauté asiatique en a marre de fermer sa gueule

WEBSERIE Ca reste entre nous – épisode 1

Finalement, les retours sont plus que positifs. « Les gens se sont retrouvés dans mon histoire, à ma grande surprise. Certaines personnes avaient l’air soulagées de ne pas être seules. » « Ce type de récit est nécessaire. Il faut créer des documents qui parlent de notre histoire, de nos vie », assure Grace Ly, qui a elle lancé la websérie « Ca reste entre nous »(link is external) :

« Il faut donner la parole aux concernés. »

« Il faut sortir de cette image réductrice d’enfant banane, qui créé souvent le sentiment d’illégitimité, nuance Sasha Lin, 41 ans et co-fondateur de l’Association des Jeunes Chinois de France (AJCF). Mixte ou pas la jeunesse doit connaître son histoire. Il faut qu’elle soit fière de son passé, de son héritage, et qu’elle se sente à l’aise avec dans le présent. »

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Sasha Lin, co-fondateur de l’AJCF, dans son restaurant à Rambuteau. / Crédits : Pierre Gautheron

Il fait partie des militants historiques de la communauté. Grace abonde, exemple à l’appui : « Quand j’étais petite, j’en voulais à mes parents d’être si calmes face à des agressions de la vie quotidienne ». Un jour, alors que son père est au volant, un homme leur fait une queue de poisson :

« Pour moi, il fallait réagir à la manière des Français, des latins, qui ont le sang chaud. Il fallait gueuler quelque chose par la fenêtre. Mais il m’a dit “c’est pas grave, laisse”. Pour moi c’était un fuyard, j’en avais honte. Alors que dans les faits, il a vécu la guerre et a survécu aux Khmers rouge. Evidemment qu’il s’en foutait d’une queue de poisson… Mais enfant, je ne me rendais pas compte de tout ça. »

LA COMMUNAUTÉ MODÈLE

Cette prise de conscience, Grace Ly appelle ça « être awoke » – littéralement être éveillé. « J’ai mis 37 ans à me rendre compte de toutes les discriminations que j’ai vécues dans ma vie, en tant que femme issue de l’immigration. Ca n’est pas simple d’ouvrir les yeux », avoue la blogueuse de 37 ans. Si ses pages Facebook et blogs étaient initialement tournées vers le fooding, la jeune maman essaie depuis un peu plus d’un an d’attirer l’attention sur les discriminations dont souffrent les asio-descendants. Elle évoque notamment les fantasmes sexuels autour des femmes asiatiques, qui devraient être douces et dociles. Un objet :

« Mes relations amoureuses ont été très douloureuses. On attendait des choses de moi que je n’étais pas. Tu te dis “c’est bizarre”, tu te demandes si c’est raciste et tu finis par conclure que c’est toi le problème. Tu perds confiance en toi et tu deviens l’objet qu’on attend que tu sois. »

Mère de trois enfants, elle a décidé de témoigner pour épargner ses peines aux générations suivantes. « Je me suis longtemps sentie très seule avec mes complexes. Je ne veux pas qu’ils passent par là. » Compliqué de briser cette solitude quand tout le monde tend à minimiser ces discriminations. « Je pense que pour beaucoup de gens, le mot d’ordre est “pour vivre heureux, vivons caché”. Il ne faut pas faire de vague », conjecture la blogueuse, qui enchaîne sur la théorie de « la minorité modèle » :

« Il y aurait deux types d’étrangers : d’un côté les pires, les noirs et les arabes, et de l’autre nous, les gentils asiatiques discrets. »

Ainsi, pendant les manifestations de l’été 2016 en hommage à Chaolin Zhang, elle entend « eux, au moins, quand ils font une manif’, ils ne brûlent pas des voitures… »« On est acceptés parce qu’on ne fait pas de bruit. Et quand on fera du bruit, que se passera-t-il ? On sera mis dans le même paquet que les autres ? », s’interroge Rui Wang, président sur le départ de l’AJCF.

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Rui Wang. / Crédits : Pierre Gautheron

OUVRIR LA VOIX

Le jeune homme en polo et pull noué sur les épaules concède avoir toujours eu une grande gueule. Mais il sait que, dans son association, il fait figure d’ovni :

« Prendre la parole, c’est accepter l’éventualité de mourir sur place publique… ».

« Il faut se sentir légitime aussi. Personnellement je ne considère pas que ça soit mon métier ou mon rôle. Moi je fais de la musique », juge la DJ Louise Chen. Elle signait pourtant, en janvier dernier dans Les Inrocks, une tribune(link is external) intitulée Pourquoi je n’ai toujours pas digéré le sketch de Gad Elmaleh et Kev Adams sur les asiatiques. Dans leur spectacle, les deux humoristes enchaînent les clichés, allant de l’imitation d’accent, aux sous-entendus de chien dans les raviolis. Assise en terrasse rue Montmartre, dans le 2e arrondissement de la capitale, la DJ débriefe :

« On m’a quand même dit “tu vas un peu loin”, “oh la la on ne peut plus rire de rien”, “relax”, alors que j’étais extrêmement choquée par ce sketch ! Pour moi, il participe à garder la personne d’origine asiatique à son statut d’étranger, auquel on ne peut pas s’identifier. Qui ne nous ressemble pas. »

Ajoutant : « Ce qui m’a fait le plus de mal, c’est qu’M6 et le CSA laissent passer ce genre de propos. 4 millions de téléspectateurs ont décidé de rire d’une même communauté – qui représente quand même 600.000 personnes(link is external) en France – et tout le monde trouve ça normal… »