Burkini à Grenoble ? : « Éric Piolle dévoile sa vision réactionnaire des femmes, qu’il présente comme un progrès »

Grenoblois lui même, Naëm Bestandji ferraille depuis longtemps avec le maire de Grenoble, Eric Piolle et l’association Alliance Citoyenne de la ville qui multiplie les actions militantes partout en France pour le port du voile dans le sport et du burkini

Après la lettre d’Eric Piolle au président de la République et avant la décision annoncée de la municipalité d’accepter le port du burkini dans les piscines municipales, le blogueur féministe et laïque livre ici une tribune pour dénoncer la rhétorique de l’inversion qu’utilisent, selon lui conjointement, les militantes et l’élu municipal.

Naëm Bestandji, essayiste et auteur de « Le linceul du féminisme. Caresser l’islamisme dans le sens du voile » (Seramis), s’adresse à Éric Piolle, maire de Grenoble, qui veut autoriser le burkini dans les piscines de sa ville. Tribune publiée sur le site marianne.net, le 05 05 2022 

Tribune. Monsieur le maire, le 29 avril dernier, vous avez adressé au président de la République une « lettre ouverte pour la garantie de notre mode de vie à la française », suivie le lendemain d’un entretien au Dauphiné Libéré. Vous y parlez peu d’écologie ou d’emploi. L’essentiel est tourné vers votre défense du burkini. Votre lettre est un jalon supplémentaire pour préparer l’opinion publique au changement du règlement des piscines municipales.

Pour cela, vous usez de ce que j’ai nommé la rhétorique d’inversion, une technique habituellement utilisée par l’islamisme politique. Elle consiste à récupérer nos concepts, nos expressions, nos idéaux laïques et féministes, pour les détourner afin de les retourner contre la République. Permettez-moi, Monsieur le maire, de remettre les choses à l’endroit.

DÉVOYER LA LOI DE 1905

Le cœur de votre détournement, sur lequel s’appuie tout l’argumentaire de votre lettre, se trouve dans le titre de celle-ci, « notre mode de vie à la française ». Vous martelez cette expression à de nombreuses reprises pour tenter d’y intégrer ce qui lui est étranger : l’intégrisme musulman. Pour cela, vous appelez la laïcité à la rescousse. Vous accusez le président de la République de « fragiliser un de nos socles », « en dévoyant la loi de 1905, en jouant avec ses interprétations. » C’est pourtant exactement ce que vous faites. Vous vous ruez vers la laïcité pour un sujet qui concerne d’abord et avant tout l’inégalité des sexes. L’égalité religieuse que vous réclamez, en enfonçant une porte ouverte, est un moyen de détourner l’attention.

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Le voile, et sa déclinaison waterproof qu’est le burkini, ne sont pas des expressions spirituelles ni une pratique religieuse en islam. Ils sont une expression sexiste et patriarcale affichée comme identitaire. Le voilement des femmes n’est pas une prescription islamique mais islamiste. La nuance peut sembler subtile, mais elle est de taille. Une de ses justifications est l’obligation de son port. Le voile a été créé pour dicter aux femmes comment se vêtir. Quand on porte le voile, on ne porte pas « les vêtements que l’on veut » mais ceux imposés par ses prescripteurs.

C’est bien pour cela que leurs porteuses sont dans l’impossibilité psychologique de le retirer pour quelques heures ou quelques minutes, le temps de leur emploi, de faire du sport ou de se baigner. Cela avait été exprimé dès 2019 par une militante pro-burqini : « On est obligées de rentrer couvertes [à la piscine] ». Cela a aussi été exprimé par la cheffe de fil des « hijabeuses » dont vous « [soutenez] le combat » : « mon coach ne comprenait pas pourquoi je n’avais pas la possibilité de l’enlever ». La raison n’est pas religieuse mais sexuelle : le risque de croiser un homme étranger à sa famille et donc, selon leur obsession sexuelle, le risque de séduction charnelle dont la responsabilité repose sur le corps des femmes. Que des militantes affirment leur consentement à cette soumission patriarcale, marquée par leur impossibilité de faire autrement (nommée de façon marketing « libre choix ») n’en change pas la nature.

VOTRE OMISSION CHANGE TOUT

Mais vous insistez sur la loi de 1905. Elle « est catégorique : la liberté de conscience est totale, la liberté de culte est garantie. » Vous oubliez de préciser que, si la liberté de culte est garantie, elle est aussi limitée par « les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public » (article premier de la loi de 1905). Votre omission change tout. Vous ajoutez que « le prosélytisme ou la contrainte sont fermement condamnés » par ladite loi. Pourtant, deux des fonctions du voile sont bien cela. Les islamistes déclarent que le voile est « l’étendard de [leur vision de] l’islam » et que les musulmanes en sont le support. « Pas besoin de parler, le voile le fait pour nous », comme l’affirment certains de ses prescripteurs. La forme du voile a été standardisée pour répondre à cette volonté prosélyte, quel que soit l’endroit de la planète, peu importent les intentions de celles qui le portent. Si des militants portaient un bonnet à l’effigie du syndicat ou du parti politique qu’ils représentent, tout le monde le considérerait comme de la propagande. C’est exactement la même chose pour le voile. Quant à la contrainte, comme dit plus haut, là encore c’est son rôle. Qu’elle soit diffuse, psychologique, par embrigadement, pour mener à la servitude volontaire, ne signifie pas qu’il y a absence de contrainte.

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Vous souhaitez quand même répondre à ceux, dont je fais partie, qui veulent rester sur le véritable terrain, le patriarcat : « En France, les femmes ne peuvent se voir imposer quoi que ce soit, par qui que ce soit. » Le voile, dont les hommes sont exemptés, est pourtant imposé aux femmes par les discours de prédicateurs sous peine de menaces d’agressions sexuelles ici-bas et des pires tourments de l’enfer dans l’au-delà.
« Le patriarcat, ce n’est pas le vêtement, c’est l’injonction. » Là est une de vos plus grandes erreurs. « Quand il y a confusion, cela perpétue le débat et donne un levier à l’islam politique qui cherche à avancer des pions ». Telle est votre déclaration au Dauphiné Libéré… que vous mettez en pratique.

LE VOILE, VOULU PAR LES HOMMES

L’islam politique avance justement ses pions grâce au corps des femmes, support de leur outil politique qu’est le sexisme du voile. Si le patriarcat n’est pas le vêtement, pourquoi aucun homme ne porte le voile ? Pourquoi aucun islamiste ne crée un faux « syndicat des hommes musulmans », tel qu’il en existe un aussi faux pour les « musulmanes » au sein d’Alliance citoyenne, pour brandir « la liberté de se couvrir » ? Le voile a été créé par des hommes. Il est prescrit par des hommes. Il est imposé par des hommes. Il est martelé par des hommes à travers des milliers de prêches, de livres, de conférences, d’émissions « religieuses ». Il est justifié par une « pudeur » féminine créée par des hommes pour dissimuler l’objet de tentation afin d’apaiser la libido des « prédateurs » que seraient ces mêmes hommes. Si aucun homme ne prescrivait le voile, aucune femme ne le porterait. L’injonction patriarcale passe, ici, par le vêtement.

Pour sauver les apparences, vous affirmez pourtant qu’« à Grenoble, nous veillerons à ce qu’aucun règlement intérieur d’aucun équipement public ne constitue une injonction ou une discrimination. Nous y serons particulièrement attentifs pour les femmes et les minorisés de genre que l’on contraint spécifiquement. » Dans le Dauphiné Libéré, vous rajoutez que « la laïcité est ici utilisée comme cheval de Troie, à mauvais escient, et vient imposer des discriminations entre les femmes et les hommes. » C’est un bel usage de rhétorique d’inversion pour autoriser LE vêtement qui impose une discrimination entre les femmes et les hommes. De plus, vous reprenez cette image du cheval de Troie utilisée par les laïques qui dénoncent le concept sexiste du voilement afin de le retourner contre les opposants à l’islamisme. Le règlement actuel des piscines protège les femmes des injonctions et discriminations. Or, au nom de votre veille, vous proposez de le modifier pour autoriser à la fois une injonction (à la « pudeur ») et une discrimination (envers les femmes). Dit autrement, vous vous opposez à celles et ceux qui luttent contre le concept sexiste du voilement en les accusant de discriminer… une discrimination. Vous n’inventez rien. Les Frères musulmans usent de cette inversion depuis des décennies, tout comme l’instrumentalisation de la laïcité.

CHEVAL DE TROIE POLITIQUE

En effet, se réfugier derrière la loi de 1905 pour protéger, aménager le sexisme et le patriarcat, n’est pas une innovation de votre part. Là encore, les Frères musulmans vous précèdent. Ils ont compris qu’instrumentaliser la laïcité pour la retourner contre notre société est plus efficace que lutter frontalement contre elle. C’est pour cela qu’ils font passer le voile pour un signe religieux. C’est leur meilleur atout, un formidable cheval de Troie politique. Vous faites une éloquente démonstration de la pertinence de leur théorie. Ils savent que, en ramenant le voile sur son véritable terrain, le sexisme, ils n’ont aucune chance. Vous comptez à présent parmi leurs alibis. Même si le voile était une prescription religieuse, ce qu’il n’est pas en islam, rien, absolument rien ne peut justifier le sexisme, pas même une religion. Mais vous ne voyez pas les choses ainsi.

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Jamais vous n’auriez soutenu une telle proposition si d’autres extrémistes vous demandaient d’autoriser un accessoire vestimentaire stigmatisant une partie de l’humanité en raison de son ethnie ou de sa couleur de peau, comme le voile a pour fonction de stigmatiser la moitié de l’humanité en raison de son sexe. Vous n’autoriseriez jamais un tel accessoire en vous réfugiant derrière la laïcité, même si dix religions vous étaient brandies… et même s’il respectait l’hygiène et la sécurité… Vous auriez refusé au nom de la lutte contre le racisme, même si son port avait été revendiqué comme un « libre choix » par certains. Mais, lorsqu’il s’agit des femmes, vous adoptez une position relativiste. C’est une marque de votre héritage culturel patriarcal où les discriminations envers les femmes relèvent de la norme. C’est aussi la marque de votre vision orientaliste et condescendante des musulmans.

PROGRESSISTE ?

Vous martelez « notre mode de vie » pour autoriser un élément qui en est l’antithèse. Vous parlez de lutter contre les discriminations pour défendre un accoutrement qui en est la quintessence. Votre autorisation du burkini n’est pas motivée par la lutte contre les discriminations, puisque ce vêtement discrimine. Vous n’êtes pas motivé par l’égalité des sexes, puisque le burkini a pour fonction de marquer l’infériorité de la femme par rapport à l’homme. Votre approche n’est pas progressiste. Elle est réactionnaire. Votre emballage « progressiste » pour faire passer la pilule ne change pas le contenu. Vous êtes aujourd’hui dans le camp de la droite ultra-conservatrice, comme le sont les islamistes sur l’échiquier politique des pays musulmans. Vous ne vous opposez pas seulement aux valeurs de la République. Vous vous opposez aussi à l’héritage de l’histoire de la gauche.

Monsieur le maire, vous avez la possibilité de vous poser en barrage au concept sexiste du voilement des femmes et à l’islamisme politique, ou bien de faire entrer Grenoble dans l’histoire comme la première ville française de cette taille à ouvrir ses bras à cette idéologie. Faites honneur à la gauche et son histoire, à « notre mode de vie », retrouvez le sens des valeurs de la République. Le courage politique n’est pas de cajoler les tenants d’une idéologie totalitaire par souci de « tolérance ». Les grandes personnalités politiques se reconnaissent par leur vision à long terme, pas celles à la vue limitée d’une échéance électorale. La décision que vous prendrez aura des conséquences pour les décennies à venir sur toutes les fillettes qui seront contraintes « librement » de porter un burkini et un voile de façon générale, sur tous les petits garçons, machos en devenir grâce à vous, pour qui vous aurez banalisé le voilement et l’image rétrograde des femmes qui l’accompagne.

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Le burkini n’est pas une simple question de vêtement mais de modèle de société. Une société où sexisme et patriarcat sont synonymes de « liberté » s’ils sont « librement choisis » ; où une idéologie totalitaire, l’islamisme, qui a fait du sexisme du voile son outil politique, est synonyme d’islam et représenterait tous les musulmans ; où le sexisme et le patriarcat sont protégés par une loi de 1905 instrumentalisée. Ou bien une République fidèle à ses valeurs et une gauche fidèle à elle-même sans concessions contre le sexisme, permettant ainsi de contrecarrer l’avancée de l’islamisme politique. N’ouvrez pas la boîte de Pandore, car cela aura des conséquences dans tout le pays et en premier lieu dans les communes proches de Grenoble. « Notre mode de vie à la française » est à mille lieues du sexisme du voilement des femmes. « La longue marche de progrès » n’est pas un retour en arrière pour s’asseoir sur nos valeurs afin de caresser l’islamisme dans le sens du voile. Soit nous marchons vers le progrès, soit nous revenons à la bigoterie et à une vision rétrograde des femmes dont le burkini est un symbole. On ne peut pas marcher vers les deux.

Du haut de ce vêtement, plusieurs millénaires de patriarcat vous contemplent. Ne soyez pas celui qui contribuera à le perpétuer. « Sortez de votre compromis toxique » avec l’islamisme. Ne lui offrez pas un nouveau territoire.

 

 

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