De nombreux jeunes Soudanais profitent de la vague de liberté insufflée à la capitale par l’espoir d’une future démocratie.
Il y a quelques mois, Mazen Kamal a été arrêté en pleine rue à Khartoum. Son tort: avoir des cheveux longs, aussitôt coupés par les paramilitaires soudanais. « Comme j’ai souhaité, à ce moment-là, de pouvoir renverser le régime », se rappelle le jeune coiffeur. « Je ne pensais pas que c’était possible. J’ai abandonné l’idée ce jour-là, lorsqu’ils m’ont battu en pleine rue et que les gens regardaient. » Aujourd’hui, de jeunes hommes se pressent dans son salon de coiffure, d’où ils ressortent avec des coupes modernes qui leur auraient valu la même punition il y a quelques temps, sous le règne d’Omar el-Bachir.
Mais le président, destitué par l’armée en avril après 30 ans au pouvoir et des mois de contestation, est aujourd’hui en prison et des instances de transition sont mises en place. Alors de nombreux jeunes Soudanais profitent de la vague de liberté insufflée à la capitale par l’espoir d’une future démocratie.
« Je portais toujours une casquette pour cacher mes cheveux lorsque je marchais dans la rue. J’avais peur mais nos vies se sont améliorées », raconte Mazen Kamal, affairé à faire une coupe dite « Wifi » –trois lignes de cheveux rasées sur l’arrière et les côtés du crâne– à son ami Mohamed al-Fateh. « Il n’était pas possible d’avoir son propre style sous l’ancien régime, il n’y avait que quelques coupes de cheveux différentes », raconte Mohamed al-Fateh, un étudiant qui travaille à mi-temps dans le salon de coiffure.
AFP / Ebrahim HAMID
« Indécence » et café clandestins
Sans quitter des yeux le miroir en face de lui, le jeune homme remonte sa manche pour montrer la cicatrice laissée par une balle l’ayant touché en juin durant des rassemblements antirégime. « Au début, les manifestations étaient surtout pour protester contre la situation économique. La vie était difficile pour tout le monde. Mais nous étions aussi dans la rue pour la liberté », raconte M. Fateh.
Après être arrivé au pouvoir par un coup d’Etat soutenu par les islamistes en 1989, Omar el-Bachir a imposé la charia (loi islamique) dans son pays, restreignant les libertés en matière vestimentaire. Les forces de sécurité ont souvent interprété de façon stricte l’article du code pénal qui interdit les « tenues indécentes » et de nombreuses femmes ont été condamnées à des coups de fouet pour avoir porté un pantalon.
Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir des jeunes femmes en porter à l’extérieur de l’université de Khartoum ou même fumer la chicha dans des cafés.
AFP / Ebrahim HAMID
Les hommes aussi devaient se cacher pour fumer la chicha, à une époque que de nombreux Soudanais considèrent aujourd’hui comme révolue. Mohamed Ahmed Badawi et ses amis avaient pour habitude de se retrouver dans un café à chicha clandestin dans le vieux Khartoum. « Nous devions informer le propriétaire du café avant d’y aller et y entrer en faisant très attention (à ne pas être vus) », se rappelle cet un ingénieur trentenaire. « Et ensuite nous fermions la porte à clé. » « Quand nous entendions la police commencer à défoncer la serrure, nous avions quelques secondes pour nous faufiler et nous échapper par le toit », raconte-t-il, en montrant un escalier extérieur.
Dans le café faiblement éclairé, chefs d’entreprises, artistes, ingénieurs et fonctionnaires fument désormais tranquillement, sans craindre d’être arrêtés.
AFP / Ebrahim HAMID
Pouvoir gagner sa vie
A 1,5 kilomètre de là, la mode, les loisirs et même la liberté d’expression sont des considérations secondaires pour Samya Siddik, qui élève seule ses trois enfants. Le changement le plus important dans sa vie depuis que le mouvement de contestation a fait tomber l’ex-dictateur, c’est qu’elle peut désormais gagner sa vie en vendant du thé dans la rue, ce que la police lui interdisait jusqu’alors, explique cette femme de 37 ans.
« Les policiers disaient que c’était contre l’ordre public. Ils seraient venus et nous auraient pris tout notre équipement », dit-elle. « Ma vie entière dépend de ce travail, je dois payer le loyer et la nourriture (…) Quand je n’ai pas de travail, mes enfants ne vont pas à l’école », ajoute-t-elle.
Mme Siddik n’a pas participé au mouvement de contestation ayant fait tomber M. Bachir et admet ne pas suivre de près les dernières actualités politiques. « J’ai recommencé à travailler, voilà le changement que je vois. »