Le repli que vous évoquez est avant tout une affirmation. On assiste à des choses très baroques. Ainsi du côté de la base musulmane, où des athées d’origine maghrébine entretiennent des relations, certes distantes, avec des rigoristes issus du salafisme des quartiers: leur fond sociologique et historique est le même. Si les premiers interagissent de temps à autre avec les seconds, c’est avant tout parce que l’islam y est perçu comme une juste compensation existentielle, comme un refuge face à un État ou une société jugés hostiles à cette religion. Son apparence conservatrice tient au fait qu’il importe ici de garder intacte la religion venue des parents, par la suite augmentée, charpentée essentiellement par des traditionalistes et des Frères musulmans – d’où l’islam politique.
Il s’agit de ne pas dénaturer un legs. Il faut au contraire l’entretenir, le développer, de façon à vivre enfin sans complexe un islam que les parents n’ont pas eu la possibilité de vivre (ramadan aléatoire, tête baissée devant l’autorité française, le voisin français…). C’est toute une partie du «Livre des indésirés: une histoire des Arabes en France»: la deuxième génération, née «vernie» en France en dépit de discriminations, chanceuse par rapport aux conditions de vie dans les pays d’origine, s’est infligé des épreuves et des mortifications, notamment religieuses, comme une dette à payer envers leurs parents restés sans défense face à «l’ État français», colonial il n’y a pas si longtemps encore et qui le restait vis-à-vis d’eux et de leur descendance – tel est l’un des récits fondateurs de la deuxième génération.