Un rapport officialisé ce mardi auprès des ministères de l’éducation et de la justice défend notamment la qualification pénale des faits de harcèlement scolaire, et un suivi obligatoire des enfants harcelés comme des harceleurs
Article par Mattea Battaglia et Mariama Darame publié sur le site lemonde.fr, le 13 10 2020
L’agenda parlementaire a pris de vitesse le calendrier de l’école. A trois semaines de la Journée nationale contre le harcèlement scolaire, qui se tiendra le 5 novembre, les conclusions de la mission gouvernementale « Comprendre et combattre le harcèlement scolaire » doivent être remises, mardi 13 octobre, aux ministres de l’éducation et de la justice, MM. Blanquer et Dupond-Moretti, et présentées à l’Assemblée nationale.
Tirées d’un rapport signé du député (MoDem) Erwan Balanant du Finistère que Le Monde a pu consulter, elles plaident pour une intensification de la lutte contre des violences répétées qui touchent, estime-t-on, près de 700 000 enfants chaque année et plus d’un élève sur dix au cours de sa scolarité. Jusqu’à « deux ou trois enfants par classe », en moyenne, ont coutume de dire les enseignants.
Sans contester ces chiffres, Erwan Balanant qui n’est pas novice sur la question – il a fait inscrire en 2019 un « droit pour les enfants à une scolarité sans violence » dans le code de l’éducation –, a choisi de regarder le phénomène dans ce qu’il a d’« endémique » et de « protéiforme ». « Nous avons tous un vécu empreint de harcèlement scolaire, souligne-t-il dès la première page du rapport. En tant que victime dans l’hypothèse la plus traumatisante, mais également comme auteur ou, le plus souvent, comme témoin. » Le député a aussi souhaité se saisir du phénomène dans ce qu’il a de plus insupportable : « Un quart des victimes a déjà envisagé le suicide, note-t-il. Il n’est malheureusement pas rare qu’elles franchissent le pas. »
Matteo Bruno, Marion Fraisse, Christopher Fallais, Thybault Duchemin, Evaëlle Dupuis… les noms des enfants « passés à l’acte », et dont les histoires ont été médiatisées, sont cités en conclusion de l’introduction. Le ton est donné.
« La cyberviolence explose »
Saisir la « réalité » du harcèlement (l’un des axes de la mission assignée, en novembre 2019, par le premier ministre d’alors, Edouard Philippe, au député Balanant) implique de regarder au-delà de la classe et de la cour de récréation, pour s’intéresser aussi à ce qui se joue sur les temps périscolaires, aux abords des établissements comme devant les écrans.
Regarder au-delà, aussi, de la seule relation entre élèves, défend le rapporteur : le harcèlement n’est pas « exclusivement perpétré par des élèves mais peut, parfois, être initié ou alimenté par du personnel scolaire », écrit-il. Une dimension taboue qui risque de faire réagir le corps enseignant. Elle ressort des auditions de parents de victimes menées par la mission, et notamment de celle de Sébastien Dupuis, père d’Evaëlle. Une enseignante de cette collégienne de 11 ans, qui s’est suicidée à Herblay-sur-Seine (Val-d’Oise) en juin 2019, a été mise en examen le 4 septembre.
Ainsi redéfini, le harcèlement fait-il plus de victimes ? « Difficile à dire », reconnaît Erwan Balanant, dont une partie du travail a consisté à compiler les travaux de recherche sur la question – ceux du sociologue Eric Debarbieux, du professeur Jean-Pierre Bellon, du conseiller principal d’éducation Bertrand Gardette, ou encore de la pédopsychiatre Nicole Catheline, parmi tant d’autres.
Cyberharcèlement, cybersexisme et revenge-porn sont les nouvelles formes d’une violence dont font les frais des enfants équipés d’outils numériques et connectés aux réseaux sociaux de plus en plus tôt. « On a aujourd’hui le sentiment que le harcèlement classique diminue, mais que la cyberviolence explose, avec un effet viral terrible pour la victime », explique le député, dont l’une des préconisations fortes – une sur 120 – vise à établir un baromètre annuel du harcèlement scolaire pour « objectiver » le phénomène. Et « obliger » tous les personnels de terrain à faire des « remontées ». Le centre de recherche Hubertine Auclert relevait déjà, en 2016, que 30 % des adolescents de 12 à 15 ans – et 17 % des filles – avaient été confrontés à des cyberviolences à caractère sexuel au cours de l’année.
« On est sorti du déni »
Que faire, alors ? Le présent rapport, dont tout un chapitre retrace la « lente prise de conscience » qui a marqué la société et la vie politique française, en remontant aux Assises nationales sur le harcèlement convoquées en 2011 par le ministre de l’éducation de l’époque, Luc Chatel (dont Jean-Michel Blanquer était le numéro deux), ne conteste pas les progrès réalisés. « Il y a encore dix ans, on parlait de chamailleries entre élèves ; on est sorti du déni », souligne M. Balanant.
Il salue, entre autres, l’interdiction du téléphone portable au collège en 2018, l’expérimentation d’un dispositif « clé en main » – un plan de prévention structuré fourni aux établissements – dans six académies pilotes depuis 2019, ou encore le déploiement sur le terrain de la méthode dite de la « préoccupation partagée ».
« Le vrai enjeu est à l’intérieur de l’éducation nationale. Il y a des protocoles qui fonctionnent. C’est ça qu’il faut développer et, pour cela, il faut mettre des moyens. » Combien ? Là encore, M. Balanant n’avance pas de chiffre précis. Selon lui, une majorité de ses propositions portent sur des « bonnes pratiques qui ne coûteraient pas grand-chose ». Le volet prévention doit être appuyé par la création « d’espaces de paroles » consacrés aux échanges entre professeurs, parents et enseignants, ou de « groupes de soutien » composés d’adolescents.
D’autres propositions relèvent du cadre réglementaire voire du domaine législatif. Le député du Finistère souhaite imposer la « prise en charge psychologique tant de l’élève harcelé que de l’élève harceleur » avec un renforcement du nombre de psychologues scolaires.
Création d’un délit spécifique
Pour se faire, il parie sur l’élaboration d’une politique interministérielle incarnée dans un groupement d’intérêt public rassemblant les associations nationales, les représentants ministériels et les plates-formes numériques privées. Cette politique serait en partie financée par la taxe sur les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).
Autre point crucial du rapport, la création d’un « délit spécifique de harcèlement scolaire » au même titre que le délit de harcèlement au travail, passible de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
Le destin législatif de ces 120 propositions reste incertain, faute de place dans le calendrier parlementaire. Prônant « une école de l’empathie », M. Balanant finalise une proposition de loi sur la base de son rapport qu’il espère présenter le 5 novembre. Une échéance symbolique.
Mattea Battaglia et Mariama Darame