Venu du Bangladesh, l’émouvant parcours de Shohidur

Dans sa chambre d’un foyer de jeunes travailleurs à Vannes, Shohidur Rahman, jeune Bengali de 18 ans, sait recevoir. Il accueille le visiteur en proposant un thé ou un jus d’orange. Une cafetière, un fer à repasser, un minilecteur CD, deux livres de cuisine, des classeurs de cours. L’aménagement de la pièce est sobre.  

Article publié par Ouest-France

Entre les deux livres, Shohidur a glissé soigneusement une feuille manuscrite. L’histoire de sa vie en quelques lignes. Un texte clé pour obtenir une régularisation. Sa demande est en cours. Il a, aujourd’hui, une simple carte de séjour provisoire.

Mais c’est d’abord son parcours depuis son arrivée en France qui sera déterminant. En apprentissage dans la restauration, avec une légitime fierté, Shohidur note qu’il a obtenu sa 1reannée avec « une moyenne de 12,8 ». Il ne le dira pas, mais il a obtenu 18 en travaux pratiques.

Il y a trois ans, Shohidur cassait encore des cailloux avec une lourde masse, non loin de Sylhet, sa ville natale au nord-est du Bangladesh.

C’est à 12 ans que le jeune Bengali est contraint de quitter l’école, pour travailler dans une carrière. Émigré à Dubaï, ville des Émirats Arabes Unis, son père vient de rentrer au pays. Malade, il ne peut plus travailler. Sa mère est lourdement handicapée et l’aînée de ses trois soeurs n’a que 10 ans.

Une lourde responsabilité

La survie de la famille, l’éducation de ses soeurs vont dépendre de Shohidur. Avec d’autres enfants, il travaille trois ans à une vingtaine de kilomètres de chez lui, pendant que son père collecte le coût du passage de son fils en Europe. 10 000 €. Un chiffre effarant. Shohidur doit réussir.

Le jeune ado, il a 15 ans, porte sur ses épaules l’avenir de sa famille, des études de ses soeurs. Une responsabilité énorme.

A l’été 2015, avec un passeur, Shohidur franchit de nuit la frontière avec l’Inde. Une première étape dangereuse. L’armée indienne n’hésite pas à tirer.

Une fois en Inde, l’ado et le passeur traversent le pays en train, en voiture. Dans une ville, dont Shohidur a oublié le nom, il prend un avion pour Athènes. Il reste quelques jours dans un appartement du centre-ville, où se pressent des réfugiés du sous-continent indien. Un autre passeur a pris le relais.

Puis, c’est la traversée à pied des frontières de Macédoine, de Serbie. « Il y avait des réfugiés des pays en guerre, de Syrie, d’Irak. » Shohidur poursuit son périple en train, à travers l’Europe, jusqu’à Paris et Vannes… Où il arrive en septembre 2015.

« Je suis arrivé à la gare vers minuit. J’ai dormi dehors. Au matin, un taxi, qui parlait un peu anglais, m’a amené aux Apprentis d’Auteuil. » Bon réflexe solidaire, les Apprentis d’Auteuil sont une association chargée par le conseil départemental de recevoir et de former les migrants mineurs.

Honnêteté

Après six mois de cours de français, au collège Jules-Simon, Shohidur entre en apprentissage cuisine. « J’aimais faire à manger pour mes soeurs. » Les cours sont à Lorient, le travail à la pizzeria Clos Mathilda, aujourd’hui au Poulfanc, route de Nantes. « Mes employeurs me regardent comme leur fils. » Ils sont prêts à lui payer son permis.

Dans sa chambre de foyer, Shohidur savoure le calme de Vannes. « Le Bangladesh est un pays pauvre et violent. On ne peut rien obtenir sans corruption. Et ici, quand je rentre chez moi, à 2 h du matin, je ne vais pas être agressé, volé. »

Les règles de vie de Shohidur, « l’honnêteté ». Et l’attention à l’autre. Shohidur, qui à 12ans cassait du caillou, donne quelques euros aux « pauvres qui mendient dans la rue. Pour qu’ils achètent un kebab, une baguette ».