#VuDAllemagne Comment la France peut-elle rendre à Joséphine Baker les honneurs qu’elle mérite ?

Chacun a toujours vu en Joséphine Baker ce qu’il souhaitait. Au moment de dresser le portrait de la vedette des années 1920, le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung  remarque les efforts déployés par la France pour lui rendre un digne hommage . Un révélateur des questionnements profonds qui traversent le pays.  

article publié sur le site reveil.courrierinternational.com le 03 06 2021
Quand est-on élevé au statut d’héroïne, de héros, et qui y a droit ? Combien de temps et quelle histoire faut-il pour cela ? Et qu’est-ce que la redécouverte de cette femme, morte il y a près d’un demi-siècle, nous dit sur la France d’aujourd’hui ?”

Ce sont les questions que se pose la Süddeutsche Zeitung dans un long portrait d’une femme qui aurait fêté son anniversaire ce 3 juin : Joséphine Baker. Ce jeudi, une pétition demandant la panthéonisation de la star du Paris des Années folles, morte en 1975, sera remise au président de la République.

L’“autre Baker”

L’occasion pour le quotidien allemand de retracer la vie de celle qui, par sa danse folle, vêtue d’un pagne, a aidé les Parisiens à oublier les horreurs de la Première Guerre mondiale. La journaliste s’est entretenue avec l’un des douze enfants adoptifs de celle qui est née sous le nom de Freda Josephine McDonald. Brian Baker confirme que, ces derniers temps, il est rare de voir une semaine passer sans qu’il y ait une rue ou un endroit dans l’Hexagone renommé en hommage à sa mère. Le fil rouge de la discussion : l’expérience du racisme, en France ou ailleurs. La Süddeutsche Zeitung écrit :

Sa danse apparaît comme une espèce de fantasme raciste. Pendant longtemps, elle n’a laissé qu’une image : Joséphine Baker, 20 ans, rayonnante et pratiquement nue avec une ceinture de bananes autour des hanches. Les gens étaient fous de sa peau noire. […] Il a fallu près de cinquante ans pour que s’éveille l’intérêt pour l’autre Baker : une femme qui n’était plus une surface de projection mais une femme qui voulait changer le monde.”

Et le quotidien d’énumérer, son adhésion à la Ligue internationale contre l’antisémitisme (Lica, qui deviendra la Licra), en 1938, sous le choc des pogroms en Allemagne ; l’accueil de Juifs dans son château dans le Périgord, où elle a également aménagé un stock d’armes dans un entresol pour la Résistance ; ses activités de contre-espionnage pour la France libre, ou sa prise de parole à Washington en 1963, juste avant le discours “I have a dream” de Martin Luther King.

photos extraites de la fiche Wikipedia. Photo « scène » par Walery, Polish-British, 1863-1929,  photos studio Harcourt (domaine public) 

                                                          “Angle mort”

”Si le combat politique de Joséphine Baker ne revient que maintenant sous les projecteurs, ce n’est pas parce qu’il était difficile de trouver quelque chose sur elle. C’est juste qu’il a fallu longtemps pour qu’on remarque que l’histoire présentait des lacunes. On voit partout des statues d’hommes devenus mythiques dans les centres-villes. C’est dans les années 1960 qu’on a commencé à demander où étaient les femmes. Le cercle des personnes à honorer s’est agrandi, et s’agrandit. Où sont les Noirs ? Les femmes noires ? Baker fait partie de ceux qui ont lutté dans un angle mort.”

Ainsi, son nom s’est retrouvé parmi 300 autres sur la liste publiée par le gouvernement français pour renommer les rues françaises. C’était en automne 2020, juste après l’interview accordée par Emmanuel Macron à Brut durant laquelle le chef d’État avait notamment évoqué les violences policières et les discriminations.

Instrumentalisation

Le journal allemand décrit aussi la vie de la vedette, élevant ses douze enfants de diverses origines dans son château, entre parc d’attractions et théâtre, et évoque ses déboires, la perte du château à la suite de problèmes financiers, d’innombrables expériences du racisme quotidien dans des palaces parisiens ou à New York. L’échange avec Brian Baker montre que cette grande famille n’était pas seulement constituée pour être une oasis d’amour. Cette “tribu arc-en-ciel” servait aussi d’îlot de justice dans un monde injuste, note le quotidien.

“Ce ne sont pas ses contradictions personnelles qui compliquent le statut d’icône de Baker en France. Baker est difficile parce qu’elle propose à la France une histoire héroïque que certains ajouteraient avec reconnaissance à la saga de la réussite nationale.”

La pétition actuelle n’est pas la seule à réclamer son entrée au Panthéon. Il y a six mois déjà, la Licra avait appelé à la même chose. Pour appuyer sa demande, elle avait publié des extraits du discours que Joséphine Baker avait tenu à Washington en 1963. Ce sont des passages dans lesquels Baker explique qu’elle a ‘fui’ les États-Unis ‘pour un endroit appelé la France’.”

Dans un sens, Baker illustre l’idéal de l’universalisme cher à la France. Mais, l’image de la star ayant toujours été instrumentalisée, elle risque aujourd’hui d’être utilisée pour mettre un voile sur le racisme d’une partie de la société française, déclare à la Süddeutsche Zeitung Maboula Soumahoro, maître de conférences à l’université de Tours. En ce sens, son entrée au Panthéon n’est selon elle pas une bonne idée. Pour son fils aussi, la décision d’Emmanuel Macron importe finalement assez peu, raconte la SZ. Son cercueil devra rester à Monaco, où elle est enterrée dans son caveau familial : “C’est là où elle était simplement mère, sœur et femme que Joséphine Baker doit rester.”