Toni Morrison : aux origines du racisme, la violence du langage

Première expérience, donc, expérience primaire aussi, comme le sont toutes les expériences de l’enfance, où des mots restent comme inscrits au plus profond de la chair, des derniers replis du cerveau et de la peau. Un jour que Toni Morrison joue avec sa petite sœur, et que son arrière grand-mère, chef incontesté du clan familial, rend visite à leur mère, cette femme majestueuse – devant laquelle même les hommes noirs se lèvent – pointe de sa canne les enfants et les désigne ainsi à leur mère : « Ces petites ont été trafiquées ». Les enfants, pour la vieille et auguste femme noire, ne sont pas assez noires, c’est-à-dire de ce noir-goudron ou ce noir-bleu qui, pour l’arrière grand-mère des petites filles, attesterait d’une pureté, d’une authenticité raciale.