Et de fait, lors de son discours de réception du Prix Nobel, Toni Morrison aura ces mots définitifs : « le langage de l’oppression représente bien plus que la violence ; il est la violence elle-même ; il représente bien plus que les limites de la connaissance ; il limite la connaissance elle-même ». Le langage fait bien plus que représenter, refléter les choses et les personnes. Il est un acte, une performance, qui façonne violemment le monde et ce que l’on peut en connaître. Et le langage raciste, sexiste, classiste, n’est pas une représentation parmi d’autre du racisme, du sexisme, du classisme ; il est le racisme, le sexisme, le classisme eux-mêmes.
L’origine de la violence de l’oppression
Mais, dira-t-on, d’où lui vient ce pouvoir, comment fonctionne-t-il ? Et quelle est la raison, l’origine de cette violence ? C’est précisément à cette question que s’attache à répondre Toni Morrison dans son dernier recueil d’essais, L’origine des autres. La romancière afro-américaine n’y revient pas seulement sur son propre travail (des relectures, notamment, de ses plus grands livres, L’oeil le plus bleu ou Beloved). Elle n’offre pas seulement non plus une superbe analyse de la place – à vrai dire, l’obsession – de la couleur de peau, chez Hemingway ou Faulkner. Toni Morrison reste d’abord une conteuse exceptionnelle, et c’est en contant ses propres expériences qu’elle est le plus profondément amenée à réfléchir sur la violence du langage.