Séparatisme : une loi pour éviter le combat culturel

« Une loi peut-elle mettre fin au renoncement ? Une loi peut-elle empêcher la lâcheté, la haine de soi, l’inculture crasse ? Le « séparatisme » contre lequel entend s’élever le chef de l’État, si tant est que cette notion floue suffise à définir ce qui se joue en France depuis maintenant plusieurs décennies, n’est pas le seul mal qui nous ronge. L’attentat contre les anciens locaux de Charlie Hebdo en a offert une tragique illustration. »

tribune par Natacha Polony publié sur le site marianne.net, le 1 10 2020

Certes, travailler sur le financement des mosquées et la formation des imams est pour le moins légitime. Il est insultant pour les Français de confession musulmane d’être guidés dans leur foi par des hommes n’ayant aucune notion de ce qu’est la France et n’en pratiquant qu’approximativement la langue. Mais on voit combien le concept est inconfortable. Il est devenu si difficile de faire comprendre le fondement même de la République, à savoir qu’elle ne reconnaît que les individus, et non les communautés, ce qui est le plus grand gage de liberté, il est devenu si difficile de ne pas adhérer à une vision anglo-saxonne de l’ordre social, dans laquelle les identités sont portées en bandoulière et chacun est assigné à ce qu’il est, qu’il est désormais malvenu de s’inquiéter du communautarisme.

L’attaque au hachoir perpétrée par un jeune homme accueilli en France comme mineur isolé nous rappelle pourtant à une autre réalité. Un garçon arrivé du Pakistan, vivant des aides sociales après avoir détourné les règles d’accueil et horrifié par ce qu’il découvre de la société française, aidé en cela par ses liens avec son pays d’origine, où l’on éprouve le besoin d’organiser des manifestations contre quelques dessins parus dans un petit journal à l’autre bout du monde. Il est un juge qui a estimé que, malgré les doutes sérieux sur l’âge de ce garçon, il ne fallait pas chercher à savoir par des analyses osseuses s’il était véritablement mineur. Un juge, donc, qui trouve normal que la loi soit régulièrement violée, ce qui  vide de son sens un principe essentiel, celui de la protection des enfants. Un juge qui considère qu’il est sain de maintenir un jeune homme dans la force de l’âge dans un statut qui le fait dépendre d’allocations et ne lui permet visiblement pas de s’insérer et de peu à peu comprendre notre pays. Et l’on comprend comment l’interruption de ce statut déstabilise un individu déraciné et sans perspectives. Ou comment la posture compassionnelle se révèle comme la meilleure manière de broyer les individus.

COMBAT CULTUREL

Mais cette attaque nous raconte également l’état de la société française, ses fragilités, ses fractures. Immédiatement a ressurgi l’argument de l’huile sur le feu. Quel besoin, après tout, de republier ces caricatures ? Une provocation qui fait des victimes innocentes. Et revoilà cette logique perverse : respecter « les musulmans », ce serait croire qu’ils sont tous choqués par des dessins insignifiants et que, implicitement, ils comprennent la violence qu’ils suscitent. Extraordinaire renversement et hypocrisie magistrale. Hélas, cette hypocrisie fracture la société française et interdit que l’appel à la défense de nos libertés soit autre chose qu’un vœu pieux. La liberté de rire, de penser, de n’être pas enfermé dans une communauté, dans une identité supposée, n’est fondée que sur l’idée de la raison universelle, qui définit notre humanité commune. Voilà des années que cet idéal émancipateur est caricaturé, sali, présenté comme une oppression  pour les « minorités », notamment par des gens qui n’aspirent qu’à faire de ces minorités des majorités oppressives.

Ce que nous avons à affronter est une conjonction de phénomènes. D’abord, une stratégie de déstabilisation par l’islamisme, dont les financeurs sont ces pays du Golfe promoteurs du wahhabisme avec lesquels nous sommes alliés, une stratégie qui tend à « réislamiser » les populations immigrées et issues de l’immigration. Mais également une importation, par le biais de la globalisation culturelle, du communautarisme anglo-saxon, fondé sur la cohabitation pacifique, côte à côte et non ensemble, de « communautés » ne partageant qu’un espace géographique et – grande différence avec la France, qui explique pourquoi ce modèle aboutit chez nous au délitement – un sentiment national hypertrophié. On pourrait ajouter un troisième phénomène : la dégradation de l’idéal d’émancipation en une forme d’individualisme qui détruit la notion de peuple, au sens politique de ce terme, le « démos », seule communauté reconnue en République. Mais qui, au fond, se soucie encore de transmettre les notions de démos, de citoyen, de laïcité et d’émancipation ?

Aucune loi sur le « séparatisme » n’offrira de réponse à ce qui relève avant tout d’un combat culturel. Bien sûr, un préalable serait d’arrêter toute forme de complaisance avec les promoteurs du wahhabisme. Un autre serait de promouvoir notre modèle aux yeux mêmes de ceux qui aspirent à venir chez nous. Mais dans une France où la logique identitaire nourrit les haines et les frustrations, où des bigots s’allient à des hypocrites pour interdire toute remise en cause de leur emprise sur leurs ouailles, avec le soutien actif de gentils militants du « respect », c’est l’idée même de liberté qui disparaît.

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