Rachid Benzine : « L’urgence n’est pas d’expurger le Coran mais d’en faire une lecture critique »

Une tribune publiée dimanche 22 avril dans Le Parisien et signée, entre autres, par l’ancien premier ministre Manuel Valls et l’ex-président Nicolas Sarkozy, dénonce « un nouvel antisémitisme » et presse les « autorités théologiques » musulmanes de « frapper d’obsolescence » les versets du Coran appelant « au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants ».

Islamologue et historien, auteur notamment de Des mille et une façons d’être juif ou musulman avec la rabbin Delphine Horvilleur (Seuil) et de Finalement, il y a quoi dans le Coran ? (La Boîte à Pandore), Rachid Benzine revient sur la tribune dénonçant un « nouvel antisémitisme » et plaide pour apprendre à faire une lecture critique du Coran.

Partagez-vous ce constat d’une recrudescence de l’antisémitisme ? Quelle part y tient le Coran ?
Rachid Benzine : Le réveil d’un certain type d’antisémitisme est indéniable aujourd’hui en France et dans d’autres pays européens, sous plusieurs formes : la forme la plus classique de l’antisémitisme européen ; une autre est liée au conflit israélo-palestinien ; enfin, une dernière s’explique par la circulation de certains textes, dont le Coran, qui ne sont pas remis dans leur contexte.
De fait, et s’il comporte plusieurs passages positifs sur « les fils d’Israël », le Coran reprend un certain type de malédictions déjà utilisées par le christianisme des premiers siècles, certaines s’appuyant sur l’Évangile de Jean. Reprenant le genre classique de la polémique, le Coran accuse les juifs de l’époque d’avoir dévié de l’enseignement de leurs prophètes. Il va aussi jusqu’à justifier le combat contre une tribu juive, mais pour des raisons politiques et non pas religieuses : selon la tradition musulmane, l’une des tribus juives, membre du « pacte » – autrement dit de la confédération de tribus – de Médine aurait trahi pour s’allier aux Mecquois qui venaient attaquer la ville.
Une partie de l’antisémitisme actuel vient d’une lecture anachronique de ce texte. Si l’on ne saisit pas les enjeux de cette société arabe du VIIe siècle, le type de judaïsme, de christianisme et d’islam existant à cette époque dans cette région, mais aussi la caducité des situations qui ont donné lieu à ce type de discours, le risque est grand de tomber dans un discours transhistorique. Comme je le répète souvent à mes étudiants, « le Coran ne s’est pas d’abord adressé à des gens comme vous ! »