Pourquoi prendre des risques pour informer : 2 reporters répondent

Malgré les risques sur le terrain, notamment dans les pays en guerre, des journalistes partent en reportage pour rapporter des informations.

 

 

« Il faut aller dans ces pays pour raconter ce qu’il s’y passe »

En partenariat avec le journal L’ACTU   n° 5588 du jeudi 3 mai 2018

Les faits

À l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse (3 mai), deux journalistes nous racontent pourquoi elles exercent leur métier, malgré les dangers. Conscientes des risques dans les zones de conflit, elles prennent des précautions : gilet pare-balles, casque, fixeur…

Elles ont dit

  • Laurence Geai, photojournaliste de 33 ans, a notamment travaillé en Irak et en Syrie : « Quand on est sous les bombardements, c’est très dur. C’est un métier dangereux, mais s’il n’y a pas d’images, il n’y a pas d’histoire à raconter. On a besoin de témoins. Il faut aller là où tout le monde ne peut aller, car il faut raconter ce qu’il s’y passe, ce que vivent les gens là-bas, ce que les groupes armés ne veulent pas montrer… Il faut y aller pour sensibiliser l’opinion publique, tout en travaillant le plus librement possible. »
  • Édith Bouvier, journaliste de 37 ans, est allée en reportage en Syrie, en Irak ou en Somalie. En 2012, elle a été blessée en Syrie dans un bombardement qui a tué une journaliste américaine et un photographe français. Depuis, elle est pourtant retournée dans ce pays : « C’est important de raconter la vie de ces gens. Si on veut comprendre ce qu’il se passe ici, en France — l’arrivée des migrants, par exemple —, il faut comprendre ce qu’il se passe là-bas. On essaie tous de rentrer entier de nos reportages. Je ne pense pas que, quelle que soit son importance, une information vaille une vie. Si je ne mesure pas les risques, si je ne le sens pas, je n’y vais pas. J’ai besoin d’en savoir un maximum sur la zone. Je me prépare : je vérifie que mes contacts sur place sont fiables, qu’il n’y a pas de risque de kidnapping… Tout est organisé, préparé. Je sais qui je retrouve, où je dors… Je ne pars jamais à l’inconnu, ni seule. Il ne faut pas se mettre en danger, ni mettre en danger ceux qu’on rencontre. »

Contexte :

1- Dans une démocratie, un citoyen est libre de créer un média, d’informer et de publier ses opinions.

2- En France, la liberté de la presse est garantie par la loi du 29 juillet 1881. Il s’agit d’un droit, mais il comporte des limites : l’injure, la diffamation, la provocation aux crimes et délits… sont interdites.

3- L’organisation Reporters sans frontières (RSF) établit un classement de la liberté de la presse dans le monde : la Norvège est le pays le plus protecteur. La France est 33e. La Corée du Nord est 180e et dernière.

Estelle Faure, Play Bac Presse.

 

Insultés, menacés, tués pour avoir informé

Des journalistes sont empêchés de faire leur travail, parfois au point de perdre leur liberté ou leur vie.

Légende photo : Shah Marai était chef du bureau photo de l’AFP à Kaboul (Afghanistan). Il travaillait pour l’agence de presse depuis 1996.

En 2017, 65 journalistes ont été tués dans le monde, selon l’organisation Reporters sans frontières (RSF). Les pays les plus dangereux sont la Syrie, le Mexique, l’Irak et l’Afghanistan. Lundi, 10 journalistes ont été tués dans ce pays, dont neuf dans un double attentat à Kaboul (parmi eux : Shah Marai, photographe de l’AFP).

Terrains dangereux

Les guerres et les attentats font beaucoup de morts dans les rangs de la presse. Mais la majorité des 65 professionnels morts en 2017 ont été victimes d’assassinat. Au Mexique, pays en paix, 11 journalistes locaux ont été tués. Ils enquêtaient notamment sur les cartels. En Europe, deux journalistes enquêtant sur la corruption et la mafia ont été tués, l’une à Malte, l’autre en Slovaquie. D’autres risques pèsent sur la presse : kidnapping, menaces, détention… « Il y a les prisons avec des barreaux mais aussi des prisons “invisibles” : parce qu’ils dérangent, on empêche les journalistes d’enquêter en portant atteinte au secret des sources, en censurant ou en achetant un média pour en contrôler la ligne éditoriale », explique Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. Autre inquiétude, selon lui : « l’hostilité » envers les médias s’accroît en Europe et aux États-Unis, notamment chez les politiques.

Estelle Faure, Play Bac Presse

 

MOTS CLÉS

Cartel ici, organisation criminelle (exemple : trafic de drogue) en Amérique latine.

Censurer  Interdire la parution d’un article (ou de parties de l’article), la diffusion d’un reportage télé…

Fixeur Personne rémunérée pour aider les journalistes à faire leurs reportages dans des zones à risques. Elle connaît la culture locale, la population et la région concernées. Elle peut aussi servir de traducteur.

Secret des sources  Règle selon laquelle les journalistes préservent l’anonymat de leurs sources d’information, pour les protéger. Dans certains pays, la loi la garantit.

Zodiac Marque de bateaux pneumatiques.

CHIFFRES CLÉS  : 1 035 journalistes professionnels ont été tués en 15 ans, selon l’organisation Reporters sans frontières (RSF). Il y a entre 40 et 90 décès par an.

6 ans que la Syrie est le pays le plus meurtrier pour les journalistes dans le monde, selon le décompte de RSF pour 2017. 12 décès y ont été recensés l’an dernier.

326 journalistes étaient emprisonnés dans le monde au 1er décembre 2017, selon RSF. La plupart en Chine, en Turquie, en Syrie, en Iran et au Vietnam. De plus, 54 sont à ce jour pris en otage, en Ukraine, Irak, Syrie et au Yémen.

LE SAVIEZ-VOUS ?

Quel grand reporter français a donné son nom à un célèbre prix pour les journalistes francophones ?

Albert Londres (1884-1932).