Podcast Beur FM. “La Mauritanie en débat”, invité: Moulaye El Hassan, militant des droits de l’homme

Avec “Des pays en débat”, Pierre Henry retourne en studio pour décrypter un pays sous l’angle des droits de l’Homme. Les sujets abordés gravitent autour des libertés publiques, des droits des femmes et des diverses révoltes populaires dans certains pays du globe. Aujourd’hui: la Mauritanie

Moulaye El Hassan est l’invité de notre deuxième épisode. Militant abolitionniste, opposant mauritanien et spécialiste de la Mauritanie, il évoque ici la pratique de l’esclavage, toujours d’actualité dans le pays.

Le gouvernement avance-t-il sur la question ? Y a t-il une véritable volonté d’éradiquer cette pratique ? Retour sur ce fléau qui touche des milliers de personnes en Mauritanie.

Entretien

Pierre Henry : Le président Mohamed Ould El Ghazouani est arrivé au pouvoir en août 2019 par la voie démocratique. Alors on se dit que dès lors, il y a une stratégie de respect des libertés publiques. Qu’en est-il réellement selon vous ?

Moulaye El Hassan : Certes, la façade était démocratique. Mais dans le détail, ça l’était beaucoup moins. A titre d’exemple, la diaspora mauritanienne dans certains pays avait été privée totalement de bureaux de vote. Au Sénégal, où il y a une très grande communauté mauritanienne, personne n’a pu bénéficier d’un bureau de vote. Aux États-Unis, les Mauritaniens n’ont pas pu voter. En Europe, les bureaux de vote étaient limités à Paris alors qu’on a une une diaspora à Madrid, à Bruxelles, etc. Dans tous les pays où il y avait une grande communauté, susceptible de voter pour des opposants, il y a eu des manœuvres pour freiner les élections.

Sur le plan des libertés publiques, y a t il eu des lois qui ont été adoptées depuis 2019, qui les promeuvent ou les restreignent ?

Depuis l’arrivée de Ghazouani, il y a eu une accalmie de l’opposition sur le plan politique.  Concernant les libertés publiques et les droits des citoyens, la situation s’est bien sûr empirée. Je pense à la mise en place notamment d’une loi assez connue, qui s’appelle la “loi sur les symboles” ou la “loi de protection des symboles”. C’est une loi qui a été mise en œuvre par El Ghazouani lui-même, dans laquelle il a œuvré pour que sa personne fasse partie des symboles de la République. De ce fait, elle n’est plus critiquable. Au même titre que la religion, que le drapeau, que l’hymne national, etc.

Vous voulez dire qu’on ne peut pas émettre de critiques à l’égard de la religion du drapeau du président de la République en Mauritanie ?

Tout à fait. Et c’est tout à fait nouveau. Jamais les Mauritaniens n’ont connu autant de restrictions. Bien sûr pour la religion, il y avait certaines lois mais pour la personne du président, il n’existait aucune loi qui menace de prison. Les personnes qui critiquent le président ont des conséquences désastreuses.

C’est-à-dire ?

Plusieurs dizaines de personnes ont été jetés en prison du jour au lendemain pour de simples phrases sur Facebook ou sur les réseaux sociaux. De simples critiques. Le dernier exemple en date, c’est un jeune homme qui a dit la phrase “zero Ghazouani”. Ca lui a valu plusieurs mois de prison, de torture, de privation de travail de tout le calvaire qui va avec les procédures judiciaires.

La Mauritanie est aussi connue pour maintenir une tradition autour de la pratique de l’esclavage. Est-ce que ça vise une ethnie en particulier ? Quel est le pourcentage de personnes concernées ? Et surtout, quelle est aujourd’hui l’action pour faire disparaître cette pratique d’un autre âge ?

L’esclavage, en Mauritanie, on le retrouve dans toutes les ethnies. Sauf qu’il est très différent d’une ethnie à une autre. Par exemple, on retrouve de l’esclavage dans l’ethnie Soninké, au sein de l’ethnie Peul et au sein même de l’ethnie Wolof. Mais dans les ethnies maure et haratines, il n’existe aucun esclavage. Chez les Maures, on ne peut jamais trouver un maure qui met en esclavage un autre maure. La plus grande mise en esclavage en Mauritanie, c’est un esclavage d’une ethnie vis-à-vis d’une autre. L’ethnie qui a été mise massivement en esclavage, ce sont les Haratines. En fait, c’est un regroupement ethnique : des Peuls, des Soninkés et des Wolofs. Ils ont été réduits en esclavage par des Berbères, des Arabo-berbères. Ceux qu’on appelle aujourd’hui les Haratines ont en fait été arrachés à leur culture et à leur langue. Ils ne parlent plus que la langue de l’oppresseur, celle de l’esclavagiste maure, qui est l’arabe hassania. On ne peut plus les caser dans leur ethnie d’origine, donc ils appartiennent à une ethnie à part entière qu’on appelle Haratines.

Cette pratique continue-t-elle dans la société mauritanienne ? Est-elle marginale ?

Elle continue jusqu’à aujourd’hui et pas plus tard que l’année dernière, il y a eu plusieurs cas flagrants. Une dame qui s’appelle Mariam Chibani a été mise en esclavage par un Monsieur qui s’appelle Ould Cheikh Laoui. Ce cas précis est un cas d’esclavage qui implique une forme d’hérédité avec viol avéré. C’est à dire que cette femme a été violée à plusieurs reprises par son propriétaire qui ensuite a violé ses enfants (qui sont d’ailleurs ses enfants à lui). C’est criminel. Mais les autorités en place n’ont pas considéré qu’il s’agissait d’un crime, bien que le procureur ait demandé à ce que ça soit traité en tant que tel. Il y a des forces obscures au pouvoir, notamment Maure, qui, par tribalisme, viennent toujours du côté des esclavagistes et qui les protègent. Il y a donc une forme de protection, car c’est un sujet tabou. La société Maure, traditionnelle et esclavagiste n’accepte pas qu’on puisse poursuivre en justice des personnes pour ce genre de crime. Ces pratiques ne sont d’ailleurs pas considérées comme des crimes, mais comme des choses parfaitement légales au regard de la religion en vigueur dans leur culture.

Pêche au filet, plage de Nouakchott (Mauritanie)

Pêche au filet, plage de Nouakchott ©Ji-Elle
 

Diffusion samedi 29 octobre à 8h20, rediffusion le dimanche à la même heure. La fréquence francilienne de Beur FM est 106.7.  Si vous souhaitez écouter l’émission depuis une autre région française, vous trouverez toutes les fréquences en suivant ce lien.  Prochain pays en débat L’Egypte, samedi 5 novembre