Podcast Beur FM. “L’Egypte en débat”. Invitée : Sérénade Chafik, militante féministe.

Avec “Des pays en débat”, Pierre Henry retourne en studio pour décrypter un pays sous l’angle des droits de l’Homme. Les sujets abordés gravitent autour des libertés publiques, des droits des femmes et des diverses révoltes populaires dans certains pays du globe. Aujourd’hui : l’Egypte. 

Sérénade Chafik, militante pour le droit des femmes et opposante égyptienne, est l’invitée de ce troisième épisode. Elle nous parle de la condition des femmes en Egypte depuis la Révolution de la Place Tahrir en 2011 et plus généralement de leurs libertés. L’excision est une pratique illégale, depuis 2008, mais continue d’être pratiquée. Retour sur ces mutilations qui soumettent les femmes au nom de la tradition.

Entretien

En matière de droit privé, d’héritage, de divorce, de garde des enfants, il semble que les femmes soient moins protégées que les hommes en Égypte. C’est même inscrit dans la Constitution. Qu’en dites vous ? Vous avez des exemples concrets à nous donner ? 

Un mari peut arrêter de subvenir aux besoins de sa femme si celle-ci s’emploie à sortir sans l’autorisation de son mari pour une raison non essentielle. Se promener, par exemple. Elle peut comparaître devant un juge, qui donnera raison au mari. Cela veut dire que les femmes ne sont pas libres de se mouvoir comme elles veulent. Elles ne sont pas en liberté dans le cadre du mariage. Concernant la maternité, si une femme ne met au monde que des filles, la mère n’aura droit qu’à un tiers de l’héritage si le mari décède. Alors qu’une femme qui va mettre au monde un garçon aura la totalité de l’héritage avec son fils.  

Le divorce est-il libre ?

Le divorce n’est pas libre, par exemple l’Eglise l’interdit pour les coptes. L’Egypte est un pays qui applique la charia et les lois de l’Église pour les coptes. Ensuite, depuis 1920, il n’y a eu qu’une seule réforme concernant le divorce. Elle donne le droit aux femmes de délier les liens du mariage, donc de répudier. On ne parle pas de divorce, mais seulement de “répudiation”. Mais elles n’ont lieu que sous la condition que le mari accepte. La femme doit des indemnités financières, entre autres, à son mari. Elle peut donc répudier son mariage, rompre les liens, si elle accepte de tout laisser derrière elle. Non seulement elles laissent leurs droits, mais en plus elles doivent indemniser le mari. 

Les événements de la place Tahrir, en 2012, n’ont rien changé dans la condition des femmes ? 

Tous les jours, de nombreuses femmes se retrouvaient sur la place Tahrir au Caire. Brandissant le drapeau égyptien et scandant des slogans anti-Moubarak. Photo AFP

Je vais vous donner l’exemple du 8 mars, place Tahrir, puisque j’y étais. Nous étions une trentaine de femmes avec des pancartes pour les droits des femmes. Nos camarades de lutte et de révolution nous ont laissé ce jour-là, alors que la veille, pour des questions de droit commun, nous étions bien plus. Nous étions une trentaine. Des salafistes sont venus par milliers, autour de nous et ont pratiqué des attouchements sur certaines militantes. Des agressions physiques et sexuelles. C’était l’état de la Révolution. La question des droits des femmes était vraiment à la marge, voire complètement occultée par l’ensemble des manifestants. Ensuite, en 2014, il y a eu des arrestations de femmes féministes. En 2018, l’arrestation de femmes combattant le harcèlement de rue. À savoir que l’Egypte est un des pays les plus dangereux pour les femmes dans la rue. Sans parler de l’excision, un problème qui n’a jamais été soulevé ni avant ni après la Révolution.  

 Vous êtes connue publiquement pour vous être battue contre la pratique de l’excision. Et les chiffres qui sortent sur cette question sont totalement affolants. Ils nous disent que plus de 90 % des Égyptiennes entre 17 et 49 ans ont subi des mutilations génitales. Comment le gouvernement aborde t-il ce problème dans la société ?

Jusqu’en 1996, aucune loi n’interdisait l’excision. Quand il y a eu une ébauche de loi l’interdisant en dehors des hôpitaux, le ministre de la Santé égyptien a parlé de notre tradition, affirmant qu’elle était menacée. La même année, des médecins ont fait un procès contre le gouvernement. En 2016, je publie un témoignage sur la page Facebook qui a été repris par la presse française, sur la question de l’excision qui touche entre 93% et 98 % des Égyptiennes. Et quelques semaines après, une journaliste égyptienne publie en quatre pages, dans un quotidien largement diffusé, un article qui aboutit : l’excision est interdite, rendue illégale, condamnable. Malheureusement, la question de l’excision n’est abordée que d’une façon extrêmement feutrée et très timide. Il n’y a pas d’arrestation ni de famille qui excisent, ni de médecin. Sauf quand il y a une fois par an une enfant qui décède sous les coups de scalpel. Et s’il y a une urgence en Égypte au niveau des droits humains en général et surtout des droits des femmes, ça serait que les femmes puissent avoir leur intégrité physique ; parce que c’est la base pour partir sur d’autres droits.    

 

Diffusion samedi 5 novembre à 8h20, rediffusion le dimanche à la même heure. La fréquence francilienne de Beur FM est 106.7.  Si vous souhaitez écouter l’émission depuis une autre région française, vous trouverez toutes les fréquences en suivant ce lien.  Prochain pays en débat le Qatar, samedi 12 novembre