Nayla Tabbara : Le fin mot du Coran, c’est l’appel à la convivialité

La théologienne musulmane libérale, cofondatrice d’Adyan, publie un livre de base : « L’islam pensé par une femme ».

article signé Fady NouN et publié sur le site lorientlejour.com, le 6 12 2018

Théologienne musulmane libérale, Nayla Tabbara (46 ans), docteur en sciences des religions de l’École pratique des hautes études, cofondatrice et vice-présidente de la Fondation Adyan, présente  un ouvrage, L’Islam pensé par une femme, écrit avec une journaliste de La Croix, Marie Malzac, et publié par Bayard.

Son objectif est d’en finir avec un islam « suprématiste, dominateur et exclusiviste », en complète opposition avec les valeurs « d’inclusivité (ne cherchez pas ce néologisme dans le dictionnaire), de miséricorde et de solidarité qui sont à la base du Coran et de la mission du Prophète » .

La tâche est énorme. Comment faire pour que l’islam ne se limite plus à un ensemble de commandements et d’interdits ; comment faire pour qu’il cesse de se vouloir dominateur ; pour qu’il cesse d’exclure du salut tout ce qui n’est pas musulman ?

« Ce n’est pas facile, convient Nayla Tabbara, qui a été critiquée pour avoir osé dire, dans une vidéo pédagogique, que les juifs et les chrétiens “ne sont pas des infidèles” et que ce terme doit être exclusivement utilisé pour parler des “polythéistes”. »

« Le Coran n’appelle pas les juifs et les chrétiens infidèles. Il dit qu’ils ont fait preuve d’infidélité à l’égard des dogmes, mais les appelle gens du Livre et non pas infidèles ou associateurs », explique-t-elle. En somme, le mot est utilisé comme adjectif, et non comme substantif. « Cette réaction de refus de l’autre est un exemple typique de la manière dont l’identitaire prévaut sur le texte coranique », dit-elle.

« C’est bien pour ça que nous avons besoin d’une nouvelle théologie ; pour que notre foi soit en harmonie avec les valeurs d’ouverture et d’égalité auxquelles nous croyons fortement aujourd’hui, et que l’islam a souligné dès le VIIe siècle », explique cette théologienne sunnite non voilée qui compte parmi ses prouesses une conférence à al-Azhar (2017).

(Pour mémoire : Le « Manuel de la citoyenneté » d’Adyan, une prouesse pédagogique inespérée)

Mise en contexte
La « mise en contexte » de la révélation coranique est essentielle, enchaîne Nayla Tabbara. Elle permet de situer et relativiser les versets violents qui prônent la guerre contre « les gens du Livre », comme le verset du Sabre de la sourate 9.

« Même s’il y a eu des conflits sanglants qui répondent à ces textes, souligne-t-elle, il nous faut replacer dans leur contexte historique ce verset et d’autres qui vont dans ce sens. Une lecture chronologique des versets du Coran montre que le fin mot, ce ne sont pas ces batailles, mais l’ouverture et un appel à vivre en convivialité avec les gens du Livre. »

Nayla Tabbara n’en est pas à son premier ouvrage. Elle a déjà cosigné avec le P. Fadi Daou, cofondateur d’Adyan, un livre sur L’hospitalité divine dans lequel tous deux présentent leur projet d’une pédagogie de la solidarité spirituelle entre musulmans et chrétiens, à l’échelle nationale et arabe. Elle dirige un institut créé par la Fondation dont l’objectif est de promouvoir « la citoyenneté inclusive de la diversité », un concept très large qui résume sa vision.

L’Islam pensé par une femme, son nouvel ouvrage, aborde en particulier le concept de pluralisme. Nayla Tabbara tente d’élaborer une « théologie de la diversité religieuse », sachant que cette diversité est « voulue par Dieu », comme l’affirme le verset 48 de la sourate al-Maida qui, chronologiquement, « vient à la fin de la révélation » coranique.

(Pour mémoire : Adyan, vivre ensemble en toute intelligence)

« Théologie de la fragilité »
À côté de chapitres très riches et diversifiés consacrés à l’engagement, les sources d’inspiration, la lutte des féministes musulmanes, l’État musulman et la citoyenneté (sait-on qu’il y a une « théologie musulmane de la libération », et que le mot islam ne doit pas être traduit par le mot soumission, mais par abandon ?), l’ouvrage de Nayla Tabbara consacre un chapitre au handicap, sous-titré « Vers une théologie de la fragilité », en relation avec son expérience de la communauté de l’Arche, présidée par Jean Vanier. Elle reconnaît devoir à cette expérience d’avoir mieux compris le Coran ; d’avoir saisi, d’un même regard, la dignité et les limites de l’être humain.

« La personne avec un handicap apparent enseigne ce que ça veut dire être humain. Elle permet à celui qui n’a pas de handicap apparent d’accepter ses brisures et de ne pas essayer de les cacher », conclut-elle.