« Le tri entre réfugiés d’Ukraine nourrira une accusation de traitement discriminatoire »

Alors que les pays européens ont mis en place une mesure de protection pour accueillir les Ukrainiens qui ont fui leur pays, de nombreux habitants d’Ukraine venant d’autres pays, notamment des étudiants, en ont été exclus. Le tri entre réfugiés d’Ukraine est une erreur selon les trois auteurs de ce texte, qui dénoncent « une mesure inutile et polémique ». »

  • Pierre Henry, Président de France Fraternités, porte-parole du mouvement Pluriel
  • Lova Rinel, Chercheur, porte-parole du mouvement Pluriel
  • Pierre-Alain Raphan, Député de l’Essonne

tribune publié sur le site la-croix.com ,  le 24 03 2022

Tribune. La directive de protection temporaire mise en œuvre pour la première fois en 2022 à l’échelle de l’UE à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie fera date en matière de protection des réfugiés. Dans aucun autre conflit, entraînant de nombreux déplacements de population, qu’il soit irakien, afghan, syrien, libyen, les pays de l’Union n’avaient accepté l’application d’un tel dispositif pourtant adopté en 2001 à la suite de la guerre des Balkans.

L’émotion légitime devant l’agression commandée par Vladimir Poutine sur un pays indépendant et démocratique ne doit pas nous empêcher de réfléchir sur l’état du droit et son application variable dans les États de l’Union. Les pays dits de « Visegrad » – Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie – qui sont aujourd’hui en première ligne de la générosité dans l’accueil des populations réfugiées devront être aidés sur le plan financier et sur celui de la répartition des populations. L’arrivée massive de personnes démunies pèse en effet sur les services sociaux, sanitaires, éducatifs de ces pays au-delà du raisonnable. La France vient de proposer à la Moldavie d’accueillir 2 500 réfugiés en provenance de ce territoire.

La Pologne devra se souvenir

C’est un geste nécessaire, précisément celui que la Moldavie refusait obstinément à l’Union, il y a quelques mois, pour d’autres populations. La Moldavie, qui en 2015 ne voulait accueillir, en plein cœur de l’ouragan syrien, que des réfugiés chrétiens, comme si les bombes distinguaient les êtres humains en fonction de leur couleur de peau ou de leur religion supposée.

La Pologne en première ligne de l’accueil avec près de 60 % des réfugiés devra se souvenir que les valeurs de l’Union ne sont pas négociables. Car enfin n’est-ce pas ce pays qui à la fin de l’année 2021, sous la conduite du gouvernement Morawiecki, jugeait certains articles des traités de l’UE incompatibles avec la Constitution polonaise, mettait en cause la primauté du droit européen, laissait mourir des réfugiés à ses frontières, coupables de ne pas être nés au bon endroit. Une fois la crise ukrainienne réglée par la voie diplomatique, la Pologne et d’autres pays comme la Hongrie devront être rappelés à leurs devoirs et au respect des valeurs de l’Union avec lesquelles on ne transige pas.

Alignement sur le plus haut standard

La répartition de la charge de l’accueil doit se faire dans la plus grande transparence à l’égard des pays membres. Accueil, accompagnement, protection, hébergement doivent y être partout alignés sur le plus haut standard observé dans l’Union. Cela se nomme la solidarité. L’Europe, la France se doivent d’y répondre dans le respect des conventions qu’elles brandissent bien souvent à la face du monde, sous peine d’être considérées comme faussaires. Il y va de la crédibilité, d’une politique et de notre dignité commune.

Ce dernier rappel vaut aussi pour la France. Certes notre pays prend sa part dans l’accueil des réfugiés du monde entier mais pas toujours dans la cohérence comme à Calais, ou sur les trottoirs de nos grandes villes où subsistent des situations indignes et qui frappent par exemple des populations en provenance d’Afghanistan, d’Érythrée, de Somalie. Dans la présente crise, le gouvernement fait preuve de mobilisation et de volonté. Comment comprendre dès lors la décision d’exclure d’une protection temporaire, même réduite dans la durée à trois mois, les résidents étrangers notamment étudiants présents en Ukraine avant le déclenchement du conflit et parvenant sur notre territoire ?

Une mesure inutile et polémique

Ils sont marocains, algériens, ivoiriens, indiens. Ils sont notamment ingénieurs, médecins, pharmaciens en cours de formation, empêchés de poursuivre leur cursus universitaire. Doit-on faire le tri entre réfugiés, entre ceux et celles qui fuient la soldatesque russe en Ukraine ? On nous dira que c’est un examen au cas par cas qui sera mené dans les préfectures, qui décidera de leur sort. C’est là une mesure inutile, polémique, productrice de contentieux absurdes, qui nourrira une accusation de traitement discriminatoire. Elle est de plus confiée à une administration préfectorale au bord de la rupture, qui ne parvient même pas à gérer le renouvellement, en temps et en heure, des titres de séjour pour des personnes en situation régulière dans notre pays.

La France et l’Europe doivent agir en responsabilité et ne rien céder rien au climat xénophobe que connaît trop souvent notre espace commun. Il y va de notre honneur d’Européens et de notre responsabilité morale de partager le fardeau d’une crise majeure, politique, économique, humanitaire, qui ne nous est ni lointaine ni étrangère et de ne jamais distinguer les souffrances des hommes et des femmes qui en sont victimes, selon leur lieu de naissance.

  • Pierre Henry, Président de France Fraternités, porte-parole du mouvement Pluriel
  • Lova Rinel, Chercheur, porte-parole du mouvement Pluriel
  • Pierre-Alain Raphan, Député de l’Essonne