Le stade de la ville syrienne de Raqqa, aux gradins toujours criblés de balles, a servi de prison sous le groupe Etat islamique (EI). Aziz al-Sajer y a été détenu pendant un mois et il est de retour, mais cette fois pour jouer au football.
« Pendant trois ans, avec l’EI, on était privé de sport », lâche M. Al-Sajer, qui a repris sa place dans l’équipe de Raqqa, Al-Rachid. « Ils détestaient ça. On jouait en secret », ajoute ce jeune homme de 25 ans aux yeux perçants.
Ex-capitale de facto des jihadistes dans le nord syrien, la ville renoue avec un semblant de normalité depuis sa reconquête en octobre par une coalition de combattants kurdes et arabes soutenue par Washington. Ses habitants peuvent désormais pratiquer le football, un passe-temps décrié par les jihadistes qui imposaient leur interprétation rigoriste de l’islam.
Sur le terrain, étendue de terre parsemée de quelques herbes brûlées par le soleil, Al-Rachid affronte Al-Sad, l’équipe de la ville voisine de Tabqa. Fait symbolique, le stade accueille désormais les matches d’un championnat organisé entre les équipes des différentes villes contrôlées par les Forces démocratiques syriennes (FDS), la coalition kurdo-arabe qui a été le fer de lance de la lutte anti-EI.
Dans les gradins déserts de l’immense stade, seuls quelques dizaines de supporters ont pris place. Des hommes, mais aussi quelques femmes, dans une ville où la mixité était interdite par les jihadistes. « C’est beau! C’est beau! », hurle un spectateur. Chaque but est accueilli par des hourras et des sifflets. L’EI avait « confisqué tous nos maillots, et notre tenue devait arriver au bas du genoux », se souvient Aziz al-Sajer. « On ne pouvait pas avoir le nom du Real Madrid ou du Barça sur notre tee-shirt. On pouvait aller en prison pour ça ».
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« Le sport, c’est la vie »
Les sous-sols du stade étaient la principale prison de la ville. Le jeune homme y a été détenu par l’EI pendant un mois, le temps que les jihadistes mènent une enquête sur lui. Ancien soldat de l’armée du régime, il avait déserté et trouvé refuge dans sa ville natale.
Les vestiaires gardent les stigmates de cette époque. « Interrogatoire », peut-on lire au-dessus de l’entrée d’une pièce, tandis que les murs blanc décrépis affichent des messages rédigés par les prisonniers, comme « Aide-nous Dieu ». Des douilles de munitions jonchent encore le sol.
« C’est le premier ‘championnat’ de football depuis la libération de la ville du terrorisme de l’EI », se réjouit une des organisatrices, Nachoua Ramadan, responsable de la commission Sports et Jeunesse du conseil civil de Raqqa, qui administre la ville. « Daech est parti, et avec lui la peur. On a des projets pour le sport féminin », se réjouit-elle, utilisant l’acronyme en arabe de l’EI.
Dans les gradins, quelques supporteurs venus spécialement de Tabqa s’en donnent à coeur joie. « Al-Sad ! Al-Sad ! Où est le quatrième? », scandent-ils ironiquement, quand leur équipe mène 3-1. Cette localité aussi était autrefois aux mains de l’EI.
Des dizaines de milliers de personnes sont déjà rentrées à Raqqa, qui s’était vidée de ses habitants durant les combats entre les FDS et les jihadistes, et l’activité a repris sur les marchés. Mais la ville a aussi été ravagée par les frappes aériennes de la coalition internationale anti-EI et des quartiers entiers sont toujours en ruines.
Mohamed al-Harouni, un habitant de Raqqa, est venu avec son neveu pour encourager l’équipe locale. Elle a perdu (3-1) mais qu’importe. « On a espoir que la situation s’améliore, et ce match le prouve. Le sport, c’est la vie! », lance-t-il. Ce jeune homme n’oublie pas les brimades de l’EI et de sa police religieuse, la « hisba »: « Ils nous disaient ‘le jihad, c’est le meilleur des sports' ». « Grâce à Dieu, on est débarrassé d’eux », dit-il.