Ni récit personnel ni tentative de réhabilitation, le livre du journaliste David Doucet, ancien rédacteur en chef des « Inrockuptibles », offre une galerie de parcours brisés par le lynchage sur les réseaux sociaux.
note de lecture par Abel Mestre publiéé sur le site lemonde.fr/livres/, le 22 10 2020
Livre. Ce n’est ni un plaidoyer pro domo, ni une tentative personnelle de réhabilitation. Dans sa passionnante enquête La Haine en ligne (Albin Michel), le journaliste David Doucet décortique les mécanismes de lynchage numérique sur les réseaux sociaux, qui entraînent une mort sociale. « Le caractère parfois monstrueux des usages des réseaux sociaux est trop largement sous-estimé. Il ne s’agit pas ici de faire le procès d’Internet qui reste un formidable outil de démocratisation et de libération de la parole, comme l’a récemment prouvé #metoo, mais de questionner les ressorts d’une intolérance qui continue irréductiblement de se répandre », résume-t-il.
L’auteur parle depuis une position qui peut sembler problématique. Ancien rédacteur en chef des Inrockuptibles, David Doucet est licencié en mars 2019. Dans son propos introductif, il laisse entendre que c’est son appartenance à la Ligue du LOL (groupe Facebook dans lequel certains membres sont accusés de cyberharcèlement) ainsi qu’un canular dont il a été l’auteur en 2013 (il s’en est publiquement excusé) qui sont les raisons de son licenciement. Pourtant, plusieurs enquêtes – du Monde, de Mediapart et de L’Obs – ont rapporté des témoignages de salariés décrivant un « fonctionnement toxique » de l’hebdomadaire quand M. Doucet appartenait à la rédaction en chef. Des mises en cause que l’intéressé nie.
Grands brûlés
Alors que l’on pouvait attendre un retour sur son expérience, M. Doucet ferme cette porte dès l’introduction de son livre. Après son propos liminaire, il n’évoquera plus la Ligue du LOL ou son propre cas. Il a choisi de se pencher sur plusieurs « affaires » de mise au pilori numérique en rencontrant victimes et coupables, repentis ou non.
Derrière les noms de grands témoins qui servent de produits d’appel – l’Américain Bret Easton Ellis, Virginie Despentes ou Michel Houellebecq –, Doucet raconte des drames intimes, des vies qui basculent sous le coup de la « cancel culture », cette tendance à vouloir détruire la réputation et à faire perdre leur emploi à ceux que la vox populi numérique estime coupables d’un fait ou d’une opinion jugés infamants. Il y va ainsi d’un couple gérant d’un supermarché, vilipendé pour avoir fait des safaris en Afrique où ils ont tué des animaux de la savane. Ou encore d’« Amandine », que les internautes ont connue il y a une dizaine d’années en train de rapper dans sa chambre et qui subit encore aujourd’hui moqueries et humiliations.
De cette galerie de grands brûlés, on retient le parcours brisé de Mennel, chanteuse d’une émission de télé-crochet dont le tort a été de reprendre Hallelujah, de Leonard Cohen, coiffée d’un turban. Des tweetos vengeurs avaient alors exhumé des messages aux relents complotistes, que la jeune chanteuse avait postés sur les réseaux sociaux, quelques années avant. « J’ai pris tellement de coups que je n’avais plus goût à rien. J’étais prostrée dans ma chambre, comme une loque. Je ne savais plus comment récupérer ma joie ou mon enthousiasme », confie la jeune femme.
En creux, le livre de David Doucet est un appel à revenir aux règles de droit, à savoir : la présomption d’innocence, le droit à un procès juste et équitable (quand bien même il a lieu sur les réseaux sociaux) et surtout le droit à l’oubli