Joseph Atalla, de réfugié en Syrie à directeur de l’Alliance Française de Tapachula

« Je suis né à Damas, en Syrie, il y a 35 ans » se rappelle le nouveau directeur de l’Alliance Française de Tapachula, Joseph Atalla. Siégeant depuis août 2022 dans cette institution culturelle tout au sud du Mexique, l’expatrié nous raconte son parcours exceptionnel et revient sur les enjeux de la francophonie au Mexique.
article par Anne-Claire Voss publié sur le site lepetitjournal.com le 18 10 2022

C’est à 35 ans que Joseph Atalla se retrouve à la tête l’Alliance Française de Tapachula, le point le plus au sud du Mexique. D’abord réfugié syrien puis nommé directeur de l’institution culturelle en 2022, il se remémore son parcours et rappelle la richesse que celui-ci lui apporte à la direction de ce point névralgique du rayonnement français au Mexique.
Vous êtes arrivé en France en tant que réfugié, vous êtes aujourd’hui nommé directeur d’une Alliance française, comment expliquez-vous votre parcours ? Je suis né à Damas, en Syrie, il y 35 ans. Je viens d’une famille qui depuis plus d’un siècle porte une grande affection pour la culture française en raison du passé partagé entre les deux pays.

Lorsque j’étais encore à Damas,  j’ai suivi des études de littérature française et j’ai travaillé, en parallèle, comme professeur de français langue étrangère à l’école des Sœurs de Besançon. Arrivé à Paris en 2011, en tant qu’assistant de langue, et pour fuir les horreurs de la guerre, j’ai pu nouer avec la France des liens puissants aussi bien sur le plan personnel que professionnel.

J’ai entrepris des études supérieures en traduction et littérature et une formation en géopolitique, tout en poursuivant mon engagement citoyen auprès des associations de solidarité et de soutien aux personnes LGBT et aux réfugiés, et ma vocation d’enseignant au service de l’école de la République, dans des zones d’éducation prioritaire (Les Ulis, Argenteuil, Goussainville).  En 2014, j’ai obtenu le statut de réfugié.

Mon attachement à la France et à l’Europe et mon souhait de participer pleinement à la vie de mon pays d’adoption m’ont conduit, en 2017, à solliciter la naturalisation. Cette même année, j’ai intégré Sciences-Po Paris.

Je voudrais toucher un public le plus large possible et proposer une ouverture sur la diversité du monde francophone et ses valeurs

Comment envisagez-vous votre nouveau poste à Tapachula ?
Aujourd’hui, directeur de l’Alliance Française de Tapachula, et étant le premier directeur franco-syrien, mes missions se résument en deux mots : développer et pérenniser.
D’abord développer car la structure – qui est de taille humaine- nécessite l’impulsion d’une nouvelle offre, aussi bien pédagogique que culturelle, pour toucher un public le plus large possible et proposer une ouverture sur la diversité du monde francophone et ses valeurs. Je voudrais proposer des cours et ateliers en journée et réorganiser certains espaces, afin de donner la possibilité aux visiteurs de venir lire ou travailler.

Pérenniser : puisque nous nous retrouvons dans une zone difficile, liée à l’éloignement, la pauvreté et la route migratoire. Nous avons donc tout à gagner à faire en sorte que cet établissement, qui est un lieu de culture, soit aussi un lieu de vie, de rencontre et de partage entre les peuples et un lieu propice aux débats d’idées et de l’acceptation des différences, où le français reste une langue dynamique et d’avenir. Ma plus grande priorité, ce sera la proximité.

J’ai par ailleurs, la chance de pouvoir compter sur une équipe composée de femmes et d’hommes motivés et passionnés, et la bienveillance constante de mes supérieurs, en particulier le délégué général Cyril Anis et le directeur pédagogique de la Fédération des Alliances Françaises du Mexique (FAFM), Patrick Garbage ; sans oublier l’engagement des membres du comité de gestion (dans le cadre d’une association de droit local et c’est le cas au Mexique, les membres du Comité sont souvent des anciens boursiers qui veulent rendre à la France ce qu’on leur a donné) et de l’ancienne directrice qui a œuvré ici pendant de longues années.

Après deux ans de pandémie, et comme beaucoup d’autres jeunes de ma génération, j’ai senti le besoin de prendre un nouveau départ

Qu’est-ce que votre expérience vous apporte aujourd’hui dans cette nouvelle aventure à Tapachula ?
Originaire d’un pays arabe marqué par l’influence de la religion musulmane et étant moi-même issu d’une famille catholique orientale, j’ai su développer un sens de l’équilibre et du dialogue entre les cultures et les croyances, des deux rives de la Méditerranée. Cela m’a permis depuis mon arrivée en France, d’épouser pleinement la langue et la culture de mon pays d’adoption et d’inscrire ce changement, dans la continuité.

Après deux ans de pandémie, et comme beaucoup d’autres jeunes de ma génération, j’ai senti le besoin de prendre un nouveau départ. C’est au sein de la Fondation des Alliances Françaises, où les valeurs de générosité et de partage prennent tout leur sens, que j’ai eu cette opportunité. Je dirais même l’honneur, de pouvoir servir la France à l’étranger, lui rendre une part de ce qu’elle m’a donné et contribuer à ma façon au rayonnement de la francophonie, ici, au Mexique.

Grâce à ces événements culturels et festifs, nous organisons des cours autour de chaque événement

Que propose l’Alliance Française de Tapachula ?
Avec mon équipe, nous avons défini quelques temps forts. En septembre nous avons le tour de cine francés, en janvier la nuit des idées, en mars la fête de la francophonie et enfin en juin la fête de la musique. Nous avons décidé aussi, d’inclure d’autres occasions comme la fête nationale du Mexique, les Journées du Patrimoine ou la journée internationale des droits des femmes.

Grâce à ces événements culturels et festifs, nous organisons des cours autour de chaque événement. Par exemple, lors de la fête nationale, le 16 septembre dernier, nous avons organisé un cocktail en présence de nos élèves (de tous niveaux) enfants, adolescents et adultes qui sont venus avec leurs parents, et amis pour célébrer l’amitié franco-mexicaine, et présenter des activités pédagogiques, qu’ils avaient préparées en amont avec leurs professeurs. A cette occasion, nous avons reçu deux groupes de musique de Tapachula, afin de mettre en lumière des talents artistiques locaux.

De même, nous avons inauguré un espace dédié à la vente de produits locaux, fabriqués de façon artisanale. Tapachula est, par sa proximité géographique avec le Guatemala, un lieu de production de café et de cacao.

« Il me paraît évident que l’Alliance Française soit aussi une plateforme pour encourager toutes les initiatives qui vont dans le sens du respect de l’environnement »

Quels sont les enjeux de l’Alliance Française de Tapachula ?
Il me paraît évident que l’Alliance Française soit aussi une plateforme pour encourager toutes les initiatives qui vont dans le sens du respect de l’environnement. Très prochainement, nous allons organiser un atelier de dégustation de café et une conférence sur le sujet. Autre moment qui me tient à cœur, organiser pour la journée des femmes une soirée littéraire à l’honneur des femmes, une exposition collective d’artistes peintres locaux, et une collecte d’argent pour lutter contre le cancer du sein, en partenariat avec la Croix-Rouge mexicaine. C’est une maladie qui fait de nombreuses victimes partout dans le monde et plus particulièrement en Amérique latine et au Mexique, où les inégalités entre pays riches et pauvres freinent le dépistage précoce de cette maladie.
Les attentes sont nombreuses et l’enjeu est majeur, mais je suis convaincu que nous allons y parvenir, car c’est avant tout un travail d’équipe !