« Hoax » : l’instit qui apprend à ses élèves à devenir des détectives du Web

Capture de la photo montrée au tableau

En moins de deux secondes, plusieurs mains se lèvent. Un garçon prend la parole : « c’est faux ». Le pied de l’homme à la pelle « n’est pas bien positionné sur la marche », justifie-t-il pour preuve. La maîtresse se délecte :

« Parfait ! Tu sais qu’un journaliste de RTL s’est fait avoir par cette image ? […] Il en a parlé à un ministre pendant une interview. »

Et puis on n’arrête pas les élèves qui bombardent une poignée d’autres arguments pour démonter le photomontage.

Introduction : le projet de Rose-Marie Farinella, qui anime des ateliers à l’école de Taninges, par Hygiène Mentale

Savoir détecter un « hoax »

Cette scène se déroule dans l’école primaire de Taninges (Haute-Savoie), en juin 2016, précisément le jour où ces élèves de CM2 ont reçu leur diplôme d’« apprenti hoaxbuster ».

Rose-Marie Farinella, institutrice de maternelle et ancienne journaliste, a conçu et expérimente pour la troisième année consécutive un programme d’éducation aux médias pour lequel elle a été récemment primée. Objectif : que les élèves, en aiguisant leur regard, parviennent à distinguer l’info de l’intox.

Christophe Michel, enseignant et créateur d’une chaîne YouTube, a diffusé sur sa chaîne (Hygiène mentale) deux intéressantes vidéos qui racontent cette expérience. Deux autres devraient être diffusées prochainement.

Partie 2, par Hygiène Mentale sur le projet de Rose-Marie Farinella

Dans ces cours d’esprit critique, dont le programme détaillé est en ligne, les élèves découvrent le métier de journaliste, apprennent à décrypter des images, à repérer et à croiser les sources, et ainsi à pouvoir détecter les « hoax ». Un travail de longue haleine, qui court sur l’année scolaire, à raison de 45 minutes hebdomadaires.

Rue89 : Pourquoi avoir mis en place ces ateliers ?

Rose-Marie Farinella : J’ai commencé à y réfléchir en 2014. J’étais très préoccupée de recevoir plein de « hoax ». Comment font les internautes pour se repérer ? Et a fortiori, comment vont faire les jeunes générations ? Je me suis dit qu’il allait falloir créer des outils.

En parallèle, j’entendais lors des conseils d’école des parents et des enseignants se plaindre qu’ils étaient complètement désarmés face aux réseaux sociaux, de voir notamment que les élèves pouvaient s’envoyer des messages très agressifs.

Il y a un thème commun à ces deux constatations : comment s’informer et communiquer sur Internet et les réseaux sociaux ? Je me suis dit qu’il fallait construire un projet à partir de ces questions.

Avec le temps, je me suis rendu compte de l’importance d’avoir un moment de parole sur Internet que les élèves n’ont pas forcément avec leurs parents. Ils avaient tellement de questions que j’ai instauré un système de petits papiers sur lesquels ils les notent. L’année dernière, même le dernier jour, lors de la remise des diplômes d’apprenti hoaxbuster, je suis repartie avec des petits papiers parce qu’ils avaient encore des questions à poser. Et moi j’ai pas toutes les réponses ! Les réponses, durant l’année, on les a cherchées ensemble.

Quels type de questions vous posaient-ils ?

« C’est quoi un “creepypasta” ? » « Qu’est-ce que tu penses de la zone 51 ? » « Des illuminati ? » Dans la classe, 8 élèves avaient entendu parler des illuminati, 9 de la zone 51 alors que moi je ne connaissais pas.

Plusieurs enfants y croyaient, dur comme fer.

Ça tombait bien parce que c’est pile dans mon sujet : on a utilisé mon approche méthodologique pour vérifier. Est-ce que c’est vrai qu’il y a des extraterrestres sur la zone 51 ? Je peux vous dire qu’ils doutaient, au début.

Comment apprenez-vous aux élèves à faire la différence entre l’info et l’intox ?

Pendant toute la première partie de ma séquence, je n’aborde pas les fausses informations. Pour reconnaître les fausses informations, il faut d’abord, à mon avis, bien comprendre ce qu’est une vraie information.

Je commence par leur expliquer la différence entre publicité et rédactionnel. Est-ce que c’est vrai qu’on est plus jeunes parce qu’on boit de l’eau d’Evian ? Que la vie est plus belle quand on mange des Haribo ? On évoque à ce moment-là la notion de vérité.

Je consacre beaucoup de temps à explorer les médias et la profession de journaliste en montrant bien que c’est un métier qui exige un travail scrupuleux de recherche, de collecte, de recoupage, d’analyse, encadré par des règles déontologiques. J’espère ainsi que les élèves accorderont du crédit à ce métier, en cette période de grande méfiance à l’égard de la presse.

A travers des exercices d’improvisation et des jeux de rôle, j’essaie enfin de leur montrer combien il est difficile de retranscrire la réalité. L’année dernière, ils ont choisi de partir d’un accident de voiture, à Taninges.

Comment organisez-vous le jeux de rôle ?

Avant de commencer l’improvisation, on définit d’abord la situation (qui ? quand ? où ? comment ? pourquoi ?) et je leur demande de déterminer qui le journaliste, incarné par l’un des élèves, va pouvoir interviewer. Une fois qu’ils ont décidé qu’il interrogera la police, un ambulancier, des témoins, la famille de la victime, on passe à l’impro.

L’un des enfants joue le policier qui, très clair, raconte en détails au journaliste ce qu’il s’est passé. On passe à l’interview d’un des témoins. A un moment (l’élève était sans doute dans la lune), le témoin répond qu’il y a trois morts alors que le policier avait plus tôt parlé d’un seul décès. Les autres lui font remarquer : « Non, c’est un ! » Mais lui répond qu’il a vu trois morts.

Je leur ai dit de le laisser parler car dans la réalité, le journaliste peut très bien interviewer un témoin qui dit qu’il y a trois morts et non un. Et pourquoi t’as vu trois morts ? Il a justifié. Qu’est-ce que va écrire le journaliste ?

Cela pose plusieurs questions : est-ce que tous les témoignages ont la même valeur ? Quelles sont les sources plus ou moins fiables ? Et je leur explique pourquoi c’est intéressant d’interviewer tout le monde : cela donne malgré tout au journaliste une vision de la réalité, un éclairage le plus complet possible. Ça permet à mes élèves de comprendre quelle est la différence entre une opinion et un fait prouvé.

C’est compliqué à leur âge de comprendre ?

Bien sûr mais ils le sentent – et on a évidemment abordé cela plusieurs fois.

A un moment, alors qu’on travaillait sur les sites complotistes, c’est parti tout seul en scène d’impro. Je leur ai montré un article sur les attentats de Charlie hebdo dans lequel l’auteur expliquait qu’untel était un agent du Mossad. « Quelques femmes m’ont dit que… », écrivait l’auteur. Quand on a lu sa source, on rigolait comme des baleines. Et les enfants ont commencé à imaginer « quelques amis nous disent que sur Mars il y avait des sapins… », etc. Ils ont bien compris qu’il s’agissait d’une opinion, pas de faits prouvés.

On a aussi fait une impro sur l’ouverture de la chasse durant laquelle on a interviewé des écolos. Le journaliste entendait des arguments contradictoires. Alors comment fait-il ? Il va utiliser des mots comme « selon », « d’après ». On a discuté du fait que la difficulté, c’est aussi que le journaliste a ses goûts, ses idées, ses centres d’intérêts.