Reconnu coupable de harcèlement moral, le youtubeur Marvel Fitness été condamné à deux ans de prison, dont un an ferme, assortis d’un sursis probatoire de trois ans. Une peine qui est allée au-delà des réquisitions. Son avocat a dénoncé une décision « inique », et l’annonce a suscité l’indignation des fans du youtubeur Marvel Fitness, venus le soutenir devant le tribunal de Versailles. L’avocate des parties civiles, Laure-Alice Bouvier, a pour sa part applaudi « une sanction exemplaire » à l’antenne de France Inter.
article par Florian Reynaud publié sur le site lemonde.fr, le 22 09 2020
Lundi 21 septembre, Habannou S., connu sur YouTube sous le nom de « Marvel Fitness », a été condamné à deux ans de réclusion, dont un an ferme avec mandat de dépôt, assortis d’un sursis probatoire de trois ans.
Jugé pour harcèlement moral et violences sur avocat, il a été reconnu coupable de tous les faits qui lui étaient reprochés par la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Versailles. Son sursis a été assorti d’une interdiction de création et d’animation sur les réseaux sociaux.
La peine prononcée est lourde pour une affaire de harcèlement en ligne, thème encore rare dans les tribunaux français. La cour est allée plus loin que les réquisitions du parquet, qui demandait douze mois de réclusion dont huit mois ferme. Pour Me Goudarzian, avocat du prévenu, la justice a voulu « faire un exemple » en condamnant fermement son client, malgré un dossier, selon lui, entaché d’erreurs de procédure. Il a annoncé son intention de faire appel.
Alors que le prévenu est reparti menotté à l’issue de l’audience, une quinzaine de ses soutiens rassemblés devant le tribunal ont crié « Free Marvel ! », un slogan par la suite repris sur les réseaux sociaux – et qui remonte en troisième sujet « le plus discuté sur Twitter » mardi 22 septembre au matin.
Neuf plaignants
Cinq des neuf plaignants (six femmes et trois hommes) étaient présents lundi pour témoigner à l’audience contre Habannou S., Yvelinois âgé de 31 ans. Actif sur Marvel Fitness Channel, une chaîne YouTube pour laquelle il comptait plus de 146 000 abonnés, et sur de nombreuses autres plates-formes en ligne, il évoluait dans la sphère du fitness.
Interrogées par le président de l’audience, les parties civiles ont fait le récit de plusieurs mois, parfois jusqu’à plus d’un an et demi, de harcèlement moral subi à coups de commentaires ou de publications en ligne, à chaque fois après un premier accrochage avec Habannou S. La plupart des plaignants ont décrit l’enfer du harcèlement de masse. « On ne peut pas se rendre compte de ce que c’est tant qu’on ne l’a pas vraiment vécu », a témoigné Tristan Defeuillet-Vang, un influenceur s’étant porté partie civile. Lui a notamment été victime d’une vidéo dans laquelle il était comparé à l’actrice pornographique Katsumi, « parce que je suis un peu asiatique ».
« Sa communauté m’insultait tous les jours, reprenant les “punchlines” de » Marvel Fitness, a témoigné Aline Marganne, influenceuse belge, qui accuse le prévenu de la harceler depuis 2018. Elle a raconté avoir envoyé plusieurs messages vocaux à l’intéressé, en pleurs, pour lui demander d’arrêter. Ces messages ont été ensuite rediffusés par Marvel Fitness sur son compte Instagram, accompagnés de textes moqueurs.
Devant le tribunal, elle a aussi concédé l’un des points régulièrement soulevés par le youtubeur dans ses vidéos : avoir fabriqué et diffusé une fausse photo intime que lui aurait envoyée le prévenu pour le décrédibiliser. « J’ai paniqué, j’étais coincée dans une situation dans laquelle j’étais bloquée depuis des mois », a-t-elle justifié lors de l’audience, questionnée par le président de la 8e chambre correctionnelle – le sujet n’ayant pas été abordé par le prévenu, ni par sa défense.
« Eduquer ceux qui suivent leur gourou »
Pour toutes les parties civiles qui se sont succédé, tout comme pour leur défense, il n’y avait guère de différence entre les attaques proférées par le prévenu et celles de « la communauté de Marvel », comme l’a appelé une plaignante. « Ce procès n’est pas celui des réseaux sociaux, mais celui d’un homme qui a choisi cette voie pour lancer des “raids” », a décrit Laure-Alice Bouvier, avocate de huit plaignants et elle-même partie civile dans l’affaire.
« Quand il appelle ses abonnés à s’en prendre à ses victimes, c’est immédiatement suivi d’effets », a-t-elle ajouté, citant des messages diffusés par Marvel Fitness sur les réseaux sociaux, tels que « go raid », « go troll sur Facebook ». L’avocate en a aussi appelé à « éduquer ceux qui suivent leur gourou ». « Hier encore j’ai reçu : “Avec Marvel on va gagner et on va aller déterrer ta mère la pute” », a cité Tristan Defeuillet-Vang lors de l’audience, tout en rappelant :« Quand on est influenceur, on partage un message, on est des médias, on touche autant de personnes que des chaînes de télévision. »
Lors de son réquisitoire, le procureur a accusé également Habannou S. d’« inciter, instiguer, inviter » les nombreux messages de haine envoyés par des internautes aux victimes. S’en prenant au comportement en ligne du prévenu, il a dénoncé « un objectif qui n’est pas seulement de nuire, mais de détruire purement et simplement ». Il a également mené une charge contre la violence des réseaux sociaux, « l’antithèse d’un tribunal », pointant du doigt les influenceurs, « ces nouveaux prêtres qui créent leurs propres Eglises ».
Liberté d’expression et vices de forme
Pour autant le procès s’est surtout joué sur la forme. L’avocat du prévenu, Me Goudarzian, n’a eu de cesse de dénoncer un dossier « bâclé », relevant une multitude de vices de procédure justifiant, selon lui, une nullité de toute l’affaire. Ici, s’attaquant aux certificats médicaux fournis par les parties civiles, et jugés « de complaisance » ; là, dénonçant les conditions des gardes à vue d’Habannou S., contraires, selon lui, au code de procédure pénale.
Le parquet a vivement réagi à cette exposition, dénonçant un « gloubi-boulga », mais Me Goudarzian n’en a pas démordu, attaquant la moindre erreur de procédure. Avec un dernier argument surprise de la défense : la cour n’a pas la preuve qu’Habannou S. est bien la personne administrant la chaîne YouTube et les réseaux sociaux incriminés par les plaintes, puisque aucune requête d’identification formelle n’a été formulée.
La double qualité d’avocate et de partie civile de Laure-Alice Bouvier a également été critiquée, la défense jugeant qu’il y avait là un conflit d’intérêts. Mais le tribunal a balayé ces remarques, tout comme il a, en délibérant, rejeté toutes les demandes de nullité formulées par Me Goudarzian.
Sur le fond du dossier, Me Goudarzian a défendu la liberté d’expression de son client. « Quand je regarde les vidéos de Marvel, je vois de la satire, je vois “Les Guignols de l’info” », argue-t-il, ajoutant que les plaignants sont « des personnalités publiques » qui « s’affichent sur les réseaux sociaux ». Habannou S., quand il s’attaque aux parties civiles, ne s’adonnerait pas à du harcèlement, mais à de la « satire ». Là encore le tribunal n’a pas été convaincu par la plaidoirie.
Florian Reynaud