Belgo-marocaine et diplômée en anthropologie, Fadila Maaroufi est aussi éducatrice de rue. Pendant 15 ans, elle a travaillé dans plusieurs quartiers bruxellois défavorisés. Depuis 2016, elle anime séminaires et conférences sur le thème de la radicalisation. Pour combattre ce qu’elle nomme « l’islam politique ». Quel regard porte-t-elle sur le radicalisme islamique ? Entretien.
entetien publié originellement sur le blog de la journaliste Aurore Van Opstal le 12 06 2020 et repris le 15 06 par la version belge du site marocain bladi.net dédié à l’information des marocains expatriés
Quand et comment avez-vous constaté ce phénomène de radicalisation de la pratique de l’islam ?
A la fin des années 80, je me souviens que les familles d’origine maghrébine étaient peu regardantes sur la pratique religieuse, tout le monde ne priait pas par exemple. Durant le ramadan, beaucoup mangeaient en cachette dans un coin discret au Mc Do. D’autres consommaient de l’alcool ou mangeaient un cervelas. Durant 50 ans, l’islam politique des frères musulmans et le wahhabisme s’est de plus en plus imposé à Bruxelles. La majorité de s musulmans n’en avait pas conscience. A Bruxelles, la plupart des personnes d’origines maghrébine sont rifaines (région du Maroc). Nous parlions le berbère dans nos familles, mais entre nous, les enfants, nous parlions français. L’honneur et la loyauté sont également des valeurs familiales très importantes. Ce qui en soi n’est pas négatif ! Cela devenait problématique lorsque, par exemple, on mariait de force une fille pour sauver l’honneur de la famille…
De quelle manière les islamistes parviennent-ils à leur fin ?
Ils utilisent la loyauté pour créer une fracture, une séparation entre les croyants et les non croyants. Quand j’étais jeune nous nous demandions souvent si nous étions Belges ou Marocains ? Nous ne comprenions pas : lorsque nous allions au Maroc, les Marocains nous disaient que nous étions des étrangers ! Et en Belgique, nous étions des Marocains ayant une autre culture. Nous étions donc en recherche d’une identité. Petit à petit, beaucoup de jeunes ne sont plus vus comme Marocains ou Belges mais comme des musulmans. L’identité musulmane a été mise en avant par les islamistes qui répétaient que tous les musulmans sont des frères et sœurs en islam. S’appuyant sur la fierté berbère et la loyauté qui tient une place primordiale, les islamistes les ont utilisés pour nous rassembler et se sentir solidaires en tant que communauté religieuse. J’entendais très souvent des jeunes dirent : « un musulman ne pouvait pas voler un autre musulman ». En revanche, nous ne risquions pas d’aller en enfer si nous volions un mécréant.
Pourquoi certaines filles musulmanes portent-elles un voile ?
Certaines ont commencé à porter le voile pour acquérir un peu de liberté. Si elles se montraient pieuses alors elles pouvaient sortir seules et les garçons respectaient les filles voilées. Celles qui sortaient seules et sans voile, se faisaient siffler, harceler par les garçons. Tandis que celles qui se montraient trop intéressées par les garçons ou se montraient un peu plus « libres » étaient mariées de force à un cousin pendant les vacances au Maroc. Les garçons, eux, vivaient librement dans les rues pendant que les filles étaient assignées à résidence. Quand les frères rentraient, elles devaient leur obéir car les garçons étaient considérés comme des seconds chefs de famille. Avec pour missions de surveiller leurs sœurs (afin de préserver leur virginité) et de protéger leurs mères. Moi, j’étais l’aînée et j’ai appris à me battre contre les garçons. J’avais d’autres projets que ceux qu’on voulait m’imposer (mariée, femme au foyer, avec enfants). D’autres jeunes avaient des rêves comme, par exemple, ce camarade de classe qui voulait dessiner des BD. Mais puisque c’était « haram », ses yeux se sont éteints. Voilà comment j’ai vu le radicalisme, chez mes camarades et chez d’autres jeunes, se profiler au fil du temps. Des yeux éteints ou un visage souriant faire place à un visage sombre. Ceux qui me saluaient avant avec respect et un large sourire baissaient désormais la tête : je n’étais plus une personne mais un “objet interdit”…
Avez-vous assistez à des mariages forcés
Oui, certaines de mes camarades de classe et voisines ont été mariées avec un cousin au Maroc. Dans la grande majorité, ces mariages étaient forcés. Pour d’autres, c’était le seul moyen de connaître la sexualité. Les futurs maris qui venaient du Maroc étaient charmants durant la procédure de régularisation. Une fois régularisés, ils se transformaient en hommes méprisants et violents envers leurs épouses qui n’existaient que pour la procréation. Si une femme voulait divorcer, on lui conseillait de patienter, on lui disait qu’elle “irait au paradis” si elle continuait à obéir à son mari.
Chez les islamistes, les femmes participent-elles au prosélytisme religieux ?
Pour mon mémoire de master, j’ai mené une enquête anthropologique durant laquelle j’ai rencontré des femmes et des jeunes femmes qui avaient besoin de reconnaissance, à qui on donnait l’occasion de prendre leur revanche. Elles sont devenues celles par qui l’islam se propage dans la société. Leur mission, c’est la « dawa » : faire du prosélytisme pour Allah. En tout cas, c’est ce que leur ont dit des prédicateurs religieux qu’on laissait prêcher tranquillement. Ces femmes prosélytes ont été formées à la mosquée du Cinquantenaire ou dans d’autres mosquées, comme celle de la rue de la Limite, par des frères musulmans et/ou salafistes. Nous avons actuellement des femmes qui forment d’autres femmes un peu partout, qui s’insèrent dans le milieu du travail et continuent la « dawa ». Ces personnes, qui ont souvent été niées dans leurs existences au sein de leur famille ou dans la société, sont les “élues d’Allah”. Avec pour mission d’éduquer les enfants sur le sentier divin en suivant les décisions des oulémas (des hommes qu’elles considèrent comme savants). Toute la journée, elles font des invocations (dou’a) pour se protéger du sheytan (« le diable ») à chaque changement de lieu : rentrer à la maison, sortir de la maison, rentrer au toilette, rendre visite à un malade, etc. Ainsi que pour chaque geste effectué : enlever ses vêtements, s’habiller… C’est un véritable rituel obsessionnel.
Qu’avez-vous à dire concernant le port du voile par certaines musulmanes ? S’agit-il d’un symbole culturel, identitaire ou d’autre chose ?
Tout d’abord, le port du voile n’est pas interdit en Belgique, faire croire le contraire est faux. Deuxièmement, on veut nous faire croire qu’une femme musulmane est nécessairement voilée : ce qui est faux aussi. Mais notre société, notamment nos institutions publiques qui, comme Actiris par ces publicités pour l’emploi, ne cesse de représenter la femme musulmane avec un voile. C’est du pain béni pour les islamistes ! Une minorité d’activistes prosélytes en profitent pour nous imposer le voilement des femmes et des petites filles. Je suis choquée de ne voir aucune réaction de la part des instances de protection des droits des femmes ou des enfants. Au contraire, ces instances vont justifier le voilement en parlant de “libre choix” et le défendre au nom de la lutte contre la stigmatisation. Des institutions comme le CCIB (Collectif Contre l’Islamophobie en Belgique) – dont le président Mustapha Chairi fait fièrement le signe de ralliement des frères musulmans avec ces quatre fils et un enfant – bénéficient d’un financement de la fédération Wallonie-Bruxelles ! Mieux encore, ces institutions donnent la parole aux femmes concernées par le voile comme si une femme qui subit des pressions sociales de sa communauté allait s’insurger. Quand on sait que questionner peut vous coûter la vie, il est évident que peu de femmes vous diront que ce n’est pas un choix.
Fadila Maaroufi porte-parole de l’observatoire des Fondamentalismes à Bruxelles (OBruxelles)
Lire aussi : Fadila Maarouf est évidemment et régulièrement attaquée par des militantes de l’Islam politique. Voyez sa réponse à l’une d’entre elles. Réponse postée hier sur son compte Facebook
« Chère Fatma,
Tu viens de faire la démonstration que lorsque nous ne sommes pas d’accord avec la communauté, avec les sœurs musulmanes nous sommes mis hors de la communauté. Avec en prime, cette éternelle façon d’essayer de nous culpabiliser en disant que je nourrirais l’extrême-droite. Hors par vos positions c’est vous qui nourrissez l’extrême-droite, vous opposez les blancs et les racisés.
La preuve que vous empêchez les femmes de s’émanciper, je me suis émancipée et vous me rejetez parce que je ne veux pas nourrir la haine, je ne veux pas diviser les peuples entre les croyants et les non croyants. Je ne veux pas diviser l’humanité en différents groupes que vous appelez racisés.
Je n’empêche pas les femmes d’aller à l’école, ni d’aller travailler, elles s’excluent toutes seules, elles n’ont pas besoins de moi pour se mettre à la marge des valeurs communes.
Tu dis être profondément laïque, je ne vois pas ce qu’il y a de laïque en défendant un groupe au détriment d’un autre. Accepter que des hommes et des femmes aient des lois différentes selon le sexe et les croyances. Bref, je t’invite à revoir la définition de la laïcité.
Et enfin comme le dit Laplume Kalam cite moi un seul propos haineux sur ma page ou dans mes écrits. »