Elle était à 15 centimes d’euro près. Le prix à payer pour la cantine de ses deux filles, l’une au CP, l’autre en CE1. Avant le confinement, qui a pris fin ce lundi 11 mai après cinquante-cinq jours, Nadia ne s’était pas rendu compte à quel point le déjeuner à l’école était en quelque sorte vital pour sa famille, soulageant son quotidien et son portefeuille. « Je n’avais que le repas du soir à fournir aux filles, explique cette maman de 33 ans. Aujourd’hui, c’est plusieurs fois par jour. C’est la galère sans cantine. »
article par Mustapha Kessous publié sur le site lemonde.fr/afrique, le 11 05 2020
Par peur du Covid-19, Nadia ne remettra pas ses enfants à l’école cette semaine et le déconfinement ne changera pas grand-chose pour elle. Sans emploi, elle s’occupe seule de ses deux filles. Les aides qu’elle reçoit (RSA et APL) couvrent de justesse le loyer de son petit F3 de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) qui s’élève à 975 euros par mois. « Une fois que j’ai payé les factures, il me reste 100 euros pour les courses », décrit-elle.
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Avec la pandémie, elle a dû changer ses habitudes. Terminé les courses à l’hypermarché Carrefour du coin, « trop risqué à cause du virus ». Elle se rend au supermarché en bas de chez elle « où il n’y a quasiment rien du tout et où chaque article coûte plus cher que dans un grand magasin », assure-t-elle.
Calculatrice à la main, Nadia fait ses achats au plus serré : du thon en conserve, des pâtes, des yaourts nature, un peu de viande. Pas de légumes ou de fruits frais, trop onéreux. « Le 15 du mois, il ne me reste plus rien, souffle-t-elle. Alors se payer des masques à 5 euros, je ne sais pas comment je vais faire ? » Pour ne pas épuiser ses provisions, elle rationne les plats, ressert les restes de la veille aux enfants « et moi, je grignote, je me sacrifie, confie-t-elle. Ce qui compte, c’est que mes filles mangent à leur faim, qu’elles se couchent le ventre plein ».
« C’est de la survie »
Elle n’a pas reçu l’« aide exceptionnelle » promise aux plus modestes par le président Emmanuel Macron lors de son discours prononcé le 13 avril et se met à pleurer en évoquant ses parents ouvriers qui n’hésitent pas à l’aider. « Ils sont venus d’Algérie pour travailler. Normalement, à mon âge, c’est moi qui devrais m’occuper d’eux, lance-t-elle. Ce n’est pas une vie, c’est de la survie. J’ai l’impression que je ne vais jamais m’en sortir. »
Le conseiller municipal en charge de la lutte contre les discriminations (REVE Insoumis), Madjid Messaoudene, est au courant de sa situation et l’a mise en relation avec des associations locales. Cet élu ne compte plus les parents en difficulté depuis la fermeture des écoles et donc des cantines.
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« Il y a eu des milliers de colis alimentaires distribués aux familles qui leur ont permis de surmonter le confinement et d’éviter une autre épreuve traumatisante, celle du frigo vide, explique-t-il. Des exemples comme Nadia, il en existe tant à Saint-Denis ou ailleurs en France. Mais combien de personnes sont hors de nos radars et ne se nourrissent plus. »
Quoi qu’il en soit, l’entraide citoyenne permet à de nombreuses familles de subsister. « Elle vient pallier les défaillances des pouvoirs publics », estime Yazid Attalah, membre de l’association Santé et environnement pour tous de Marseille, qui fournit chaque semaine en produits alimentaires une centaine de personnes (la moitié est atteinte du Covid-19).
Une cagnotte lancée à l’école
Zohra, Algérienne de 27 ans et en France depuis trois ans, a pu compter, quant à elle, sur la bienveillance de parents de l’école de ses trois filles. Informés de la situation délicate de cette famille qui, généralement, ne paie pas la cantine, ils lui ont porté des colis alimentaires à base d’huile, de légumes ou de viande. L’époux de Zohra, en situation irrégulière, a perdu ses revenus quand les marchés sur lesquels il travaillait ont fermé avec le confinement.
Les cinq membres du foyer s’entassent dans 50 m2, dans le IVe arrondissement de Marseille. L’assistance sociale a donné des chèques alimentaires (60 euros) à Zohra, mais est-ce suffisant ? « Je fais quelques courses, mais je vais à l’essentiel, explique-t-elle. Les chocolats et les bonbons, je n’en achète plus depuis des années déjà. Je vais aussi aux Restos du cœur. Mon mari a un peu honte. Avant, moi aussi, mais il le faut », précise-t-elle.
Dans un autre quartier de Marseille, Mariama, une Sénégalaise de 45 ans, vit dans 42 m2 sans compagnon, mais avec trois enfants. Lorsqu’ils sont scolarisés, elle aussi ne paie pas de cantine. Alors, une cagnotte a été lancée à l’école de l’un de ses garçons pour lui venir en aide ainsi qu’à d’autres familles précaires. « On m’a donné 400 euros la première semaine du confinement, puis 200 euros, et quelques semaines plus tard 300 euros. Ça m’a surpris et fait du bien », reconnaît-elle. Ces dons lui ont permis de payer les factures et d’envoyer un peu d’argent à son quatrième enfant, sa fille, restée à Angers où elle étudie. « Elle n’avait pas assez pour venir me rejoindre », souligne la maman.
Mariama, qui tresse habituellement les cheveux, n’a plus de clientes en ce moment. Sans-papiers, elle ne touche aucune aide et doit déjà 1 100 euros de loyer. « Tout le reste de l’argent qu’on m’a offert est parti dans les courses », dit-elle dépitée. Pour les repas, elle fait en sorte que les plats sénégalais qu’elle cuisine durent plusieurs jours. « Et on réussit à manger à notre faim pendant le ramadan », se réjouit-elle.
Récupérer des colis alimentaires
A Marseille toujours, Samia, 47 ans, tente de garder le moral. Elle et son mari sont sans-papiers. Ils ont quitté l’Algérie en 2014 et leur belle situation pour offrir à leur fille adoptée – 13 ans aujourd’hui – une vie de liberté en France. Ils louent un petit appartement non loin de la Cannebière pour 650 euros par mois.
Ses récentes sorties ont été consacrées à récupérer des colis alimentaires. « Quel choc de voir autant de familles qui ont du mal à se nourrir », lance-t-elle. Un paquet de vivres permet à Samia de tenir plusieurs jours. « Je cuisine jusqu’au prochain, sourit-elle. Je me débrouille. Avec peu, j’essaie de faire de grands plats. »
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Samia a été cuisinière et espère reprendre au plus vite son travail, car ce confinement a été un enfer, notamment à cause des punaises de lit. « Ça sort des murs, dit-elle en fondant en larmes. Les propriétaires profitent de notre situation, ce sont des marchands de sommeil. »
Comme chez Nadia, les enfants de Samia, Zohra ou Mariama vont rester à la maison malgré la réouverture des écoles pour se tenir le plus loin possible du nouveau coronavirus. Pour ces familles, il faudra encore compter sur les colis alimentaires, l’aide de proches ou d’anonymes pour pouvoir se nourrir. Et tenir jusqu’à la prochaine rentrée scolaire et la reprise de la cantine.
Mustapha Kessous