Avec “Des pays en débat”, Pierre Henry retourne en studio pour décrypter un pays sous l’angle des droits de l’Homme. Les sujets abordés gravitent autour des libertés publiques, des droits des femmes et des diverses révoltes populaires dans certains pays du globe. Aujourd’hui, on vous parle de l’Azerbaïdjan.
Bayram Balci, diplômé en science politique et civilisation arabo‐islamique des Sciences Po Grenoble et Aix en Provence, est notre invité. Il est également directeur de l’Institut français d’études anatoliennes à Istanbul et travail sur les régions du Caucase, de l’Asie centrale et du Moyen-Orient ainsi que sur l’Islam, l’ex-URSS et la Turquie. Aujourd’hui, il traite avec nous des relations entre la Turquie et l’Azerbaïdjan et de la situation des personnes déplacées en Azerbaïdjan.
Entretien avec Bayram Balci
P.H : Alors depuis 2020, la Turquie est active aux côtés de l’Azerbaïdjan dans le conflit arméno azerbaïdjanais, notamment par une aide militaire. Est ce que vous pouvez revenir sur les relations historiques entre la Turquie et l’Azerbaïdjan qui ont permis de mener cette alliance ? Que trouve la Turquie comme avantage à cette alliance ?
B.B : Et bien la Turquie se sent quelque part obligée d’être solidaire de l’Azerbaïdjan parce que les deux pays ont une multitude de points communs. Il y a une certaine proximité, parenté. La Turquie, l’Azerbaïdjan, le peuple de Turquie, l’Azéri, c’est à peu près le même peuple turcique, historiquement c’est les mêmes. Et par ailleurs, depuis une trentaine d’années, il y a des relations très approfondies qui lient l’Azerbaïdjan à la Turquie, parce qu’à cause de cette proximité ethnique, linguistique, politique ; linguistique, parce que dans toutes les turciques, entre le turc, l’ouzbek, le kazakh, l’azéri et toutes les autres langues, en fait, la plus grande proximité, c’est entre le turc de Turquie et l’azéri, qui est une forme de turc de Turquie un peu différent, mais qui est vraiment très proche. Ce serait la première, la deuxième, les deux pays sont appartenir à un même groupe ethnique, un même groupe, souvent les deux pays se présentent comme deux Etats et une même nation, c’est à dire l’idée que les deux ne font qu’une seule nation.
La grande Turquie ?
Non pas la grande Turquie. La grande idée turcique, le grand peuple turc au sens turcique et pas forcément un même pays mais il y a une certaine grande nation turque qui dépasse les frontières. Et par ailleurs, il y a aussi le côté que la Turquie, depuis une trentaine d’années, cultive l’idée de créer un monde turcique, une espèce de bloc d’état turcique et bien dans ce projet intégrationniste que soulève la Turquie, dont la Turquie est le moteur, c’est l’Azerbaïdjan, qui est le plus participant, le plus impliqué, le plus volontaire.
C’est ce qui amène la Turquie à soutenir l’Azerbaïdjan dans sa tentative de séparation de territoire qui mène vers le Haut-Karabagh ?
Justement, la Turquie se sent obligée de soutenir l’Azerbaïdjan pour toutes les raisons que j’évoquais tout à l’heure du à certaines proximités linguistiques, politiques, culturelles et même religieuses dans certaines mesures. La Turquie, depuis une trentaine d’années, soutient l’Azerbaïdjan dans sa guerre contre l’Arménie. Elle l’a toujours soutenu de manière diplomatique, politique. Mais là, il y a deux ans, dans la guerre, la deuxième guerre du Karabagh, après deux ans, c’était au delà. Il y a une implication militaire de la Turquie et les questions qu’on peut se poser. C’est pourquoi la Turquie est allée aussi fort cette fois ci. C’est que, en fait, depuis une trentaine d’années, le contexte a changé dans l’esprit des Turcs, et les Azéris ont le sentiment que la communauté internationale, les Nations Unies et les autres, le Groupe de Minsk, qui est censé apporter une solution à ce conflit, a été inefficace. Et dans ces conditions là, la seule chose, le seul moyen de retrouver pour l’Azerbaïdjan, un les districts autour du Karabakh, deux le Karabakh, c’est la voie militaire. Ça, c’est le premier. Ensuite, le contexte en Turquie a changé. C’est qu’en fait, auparavant, même Erdogan qui d’autre fois dans une logique de dialogue de proximité avec l’Occident, quand il est arrivé au pouvoir en 2003, il y a quand même une vingtaine d’année, et bien le même Erdogan a changé, le contexte aussi. Il est devenu beaucoup plus vindicatif, militariste et nationaliste, islamo nationaliste. Et de ce fait, c’est à dire qu’auparavant il tenait compte de ce qu’allait dire les occidentaux, si la Turquie soutenait l’Azerbaïdjan, depuis deux ou trois ans, il y a un tel fossé entre la Turquie et ses partenaires traditionnels occidentaux, que la Turquie ne fait plus attention à ça.
Oui, la Turquie qui est un des piliers de l’OTAN, dit au passage. Mais revenons sur la nature du régime en Azerbaïdjan sous la conduite du Président Ilham Aliyev. Compte tenu de ses multiples atteintes aux droits de l’homme, des crimes de guerre, de discriminations. La situation des droits de l’homme en Azerbaïdjan, c’est laquelle ?
L’Azerbaïdjan c’est un pays de l’exURSS. Cette notion des droits de l’homme n’est pas pire en Azerbaïdjan que dans le reste de l’Union soviétique, des pays issus de l’ex-URSS donc dans le Caucase, en Russie, il y a des prisonniers politiques mais il est pas pire qu’au Turkménistan ou en au Ouzbékistan, au Kazakhstan, c’est à peu près la même. C’est à dire parce que c’est une espèce de dynastie post-soviétique, dynastique qui va de père en fils, parce que le Président Aliyev, le Père Heydar donc, est arrivé au pouvoir en 1994 et il y restera longtemps et en 2003, il était remplacé par le fils. Donc si vous voulez, c’est un régime autoritaire post-soviétique avec quelques restes de l’Union soviétique et le fait qu’il y ait aussi une manne pétrolière, il y a deux ans, la guerre contre le Karabakh, le fait que l’Azerbaïdjan a été victorieux ça renforce ce régime autoritaire et de ce fait je pense que l’opposition est discréditée parce qu’elle voit bien que le régime est d’une notoriété populaire au sein de la presse Azerbaïdjanaise parce qu’il a réalisé le rêve de tous les Azerbaïdjanais qui était de gagner à nouveau la guerre du Karabakh, de réparer l’humiliation qui était infligée il y a une trentaine d’années par les Arméniens aux Azerbaïdjanais, et le fait qu’il ait reconquis les sept districts en dehors du Karabakh plus une partie du Karabakh, ça donne une certaine longévité de pouvoir à Aliyev. Et à mon avis, dans les années à venir, les élections, il va encore les gagner.
Alors il y a encore une question que je veux vous poser et dont on ne parle pas suffisamment, c’est celle du sort des déplacés. En Azerbaïdjan, près de 700 000 personnes sont déplacées et à priori, la situation ne semble pas s’améliorer. Vous avez une idée des conditions de vie des déplacés aujourd’hui ?
Alors les déplacés, ça devient un statut particulier parce qu’ils ont été expulsés de chez eux il y a une trentaine d’années, pendant le premier conflit du Karabakh. Donc il y avait plusieurs catégories de réfugiés azerbaïdjanais, ceux qui étaient en Arménie qui ont été expulsés au même titre que les Arméniens d’Azerbaïdjan ont été expulsés, ceux qui étaient au Karabakh qui ont été obligés de partir à cause de la violence de la guerre et enfin et surtout les plus nombreuses ceux qui étaient dans les districts aux alentours du Karabakh, qui pour eux aussi ont été obligés de partir parce que leur territoire, leur ville était occupée par les Arméniens et depuis une trentaine d’années, ils vivent dans des conditions pas très facile du tout. Et le pouvoir Azerbaidjanais est dans un véritable dilemme. C’est à dire que si les loger comme il faut, c’est les intégrer parfaitement, du coup, la question du Karabakh étaient oubliés. Or l’objectif était de maintenir un peu cette plaie ouverte pour pouvoir, le droit légitime de revendiquer, y compris de repartir à la guerre pour récupérer de Karabakh, et c’est ce qui a été fait. Or, là, maintenant que les districts ont été libérés, il est question que certains reviennent s’installer dans les villes où ils ont été expulsés il y a une trentaines années. Mais ça prendra du temps, parce que des villes vidées, non habitées pendant une trentaine d’années, ça devient une espèce de désert de béton inhabité. Et l’Azerbaïdjan, s’il veut redonner une certaine viabilité à ses régions, je pense que ça demandera beaucoup de temps et d’investissement, ils ont commencé, mais ça prendra beaucoup de temps.
Pour aller plus loin sur l’Azerbaïdjan
L’Azerbaïdjan est situé dans la région Transcaucasienne, entre la mer Noire et la mer Caspienne. La région est connue pour sa diversité culturelle, linguistique et religieuse ainsi que pour les conflits territoriaux qui s’y déroulent depuis plusieurs décennies. Avec une superficie de 87 000 km2, soit la taille de la région Nouvelle-Aquitaine, l’Azerbaïdjan accueille 10 millions d’habitants. Les Azéris représentent 80% de la population et sont majoritairement musulmans avec environ 96% de la population pratiquant l’Islam. 60% des habitants vivent dans des zones urbaines, dont un quart à Bakou, la capitale. Les Arméniens, les lesghiens, les russes, les taliches, les Kurdes, constituent une minorité nationale dans le pays. L’Azerbaïdjan est un pays situé à la croisée de l’Europe et de l’Asie, il partage ses frontières avec la Russie, la Georgie, l’Arménie, l’Iran et la Turquie. Malgré son climat semi-aride, l’Azerbaïdjan possède une grande richesse en sources d’eau, ainsi qu’une grande façade maritime sur la mer Caspienne.
L’agriculture génère 6% du PIB de l’Azerbaïdjan, apporte une contribution majeure à l’économie non pétrolière du pays car la principale richesse du pays réside dans l’exploitation des hydrocarbures, plus précisément du pétrole, qui a notamment été le principal foyer de production et de raffinage de l’ex-URSS jusqu’à la seconde guerre mondiale. En effet, L’Azerbaïdjan a été l’une des 15 républiques socialistes constitutives de l’Union soviétique, de 1922 à 1991 C’est après l’éclatement de l’URSS en 1991 que l’Azerbaïdjan devient indépendant.
Le conflit Arméno-Azerbaïdjanais
En 1921, la région autonome du Haut-Karabakh est rattachée à l’Azerbaïdjan par les autorités soviétiques malgré l’opposition croisée de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan . Dès 1988 des tensions se font sentir entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, qui demande le rattachement de ce territoire peuplé d’Arméniens à son pays. Le conflit éclate en 1992. Jusqu’en 1994, date de la signature du cessez-le-feu, des milliers de personnes furent tuées. Depuis le conflit était resté plus ou moins gelé, avec des échanges de tirs sporadiques et des négociations de paix infructueuses. Depuis septembre 2020, les tensions ont de nouveau augmenté avec une escalade militaire impliquant des combats intenses dans la région du Haut-Karabakh.
Merci d’avoir suivi “des pays en débat”, une émission produite par France Fraternités pour Beur FM, en collaboration avec Zohra et Jessica Ducret. Diffusion samedi 20 mai 2023 à 8h20, rediffusion le dimanche à la même heure. La fréquence francilienne de Beur FM est 106.7. Si vous souhaitez écouter l’émission depuis une autre région française, vous trouverez toutes les fréquences en suivant ce lien.